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si, faisant désormais pour eux le vœu de pauvreté, il les soulageait de ces importunes richesses et nous permettait ainsi de goûter, sans péril pour nos yeux, la poésie mystérieuse et subtile qui, malgré tout, persiste encore dans ses œuvres.

Entre la distinction et la recherche la limite est étroite. Nous n’oserions affirmer que M. Humbert ne l’a pas non plus dépassée. La Salomé impassible qui tient à deux mains le plat sur lequel est posée la tête de saint Jean-Baptiste ne manque certes point d’élégance, mais d’une élégance un peu précieuse et toute moderne. Cette mondaine, on doit pouvoir la rencontrer aux environs du bois ou des courses, et on se demande par quel caprice, dans cette tenue étrange et avec cette déplaisante coiffure, le peintre l’a placée sur un de ces trônes empruntés aux maîtres primitifs où il avait, il y a quelques années, fait asseoir la Vierge et l’Enfant Jésus. L’Euterpe de M. Thirion est au contraire une figure d’une distinction parfaite, et l’on ne songe pas ici à rechercher quel modèle a pu offrir à l’artiste ce charmant visage, ces traits fins, ce pur ovale qu’encadre avec tant de grâce une riche chevelure. Sans doute, M. Thirion a demandé à la nature ce point de départ de vie et de réalité que seule elle peut donner; mais, pour finir son œuvre, il y a mis, comme sa part de création, l’élégance des ajustemens, le nuage de ces voiles légers qui flottent autour de la jeune fille, la fière expression de son regard, surtout cet air de jeunesse éternelle qui en fait une déesse et qui, plus encore que le laurier d’or dont elle est couronnée, nous invite à voir en elle la noble inspiratrice de la poésie lyrique et de la musique.

C’est pour la dernière fois que le livret du Salon porte le nom de M. E. Blanchard. Alors que son talent autorisait les plus légitimes espérances, une mort prématurée est venue l’enlever à l’art et aux affections dont il était entouré. Il nous est doux de rappeler ici le nouveau témoignage de cordiale et délicate confraternité dont cette mort fut l’occasion, hommage aussi honorable pour celui qui en était l’objet que pour ceux qui s’y étaient si généreusement associés. Avec un de ces portraits élégans et fins qui avaient assuré à M. Blanchard une précoce renommée, nous retrouvons à l’Exposition la dernière et aussi la plus remarquable des œuvres qu’il ait laissées : sa Françoise de Rimini. Les corps des deux amans s’enlevant en pleine lumière forment un groupe charmant, et brillent d’un doux éclat au milieu des ténèbres qui les pressent de toutes parts et commencent déjà à les envahir. L’entente de l’effet, la grâce de l’arrangement, la merveilleuse souplesse de l’exécution et du modelé montrent les progrès qu’avait réalisés l’artiste. Il ne devait pas jouir de son succès. Atteint déjà par la maladie, il luttait courageusement et, malgré l’épuisement de ses forces, il