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curieuses notes laissées par le baron Stockmar, de manière à présenter une histoire complète des vicissitudes da régime constitutionnel entre l’avènement de George IV et la mort du prince Albert, En dépit de quelques tourmentes, c’est la belle époque du gouvernement constitutionnel. Il atteint alors à son apogée dans son pays d’origine, l’Angleterre, où, après un siècle et demi de luttes qui ne furent pas toujours morales, il se montre enfin comme une belle lumière politique dégagée de toutes les souillures de corruptions parlementaires, de violences whigs et d’intolérance anglicane qu’il avait si longtemps traînées après lui. Sur le continent, c’est l’heure où il a le vent en poupe; toutes les classes éclairées ont foi en lui, tous les peuples se tournent vers lui comme vers l’étoile protectrice de l’humanité et en espèrent les services les plus divers : la Grèce le miracle de sa résurrection, la Belgique la garantie de son indépendance reconquise, la France le port de repos après tant de cruelles tempêtes. Les illusions généreuses de ces beaux jours si vite envolés revivent dans les récits de Saint-René Taillandier avec une vivacité d’autant plus touchante qu’il les partage encore. Les événemens ne l’avaient pas persuadé que le système constitutionnel fût un édifice désormais trop étroit et trop frêle pour contenir et abriter les masses de plus en plus épaisses que le mouvement ascendant de la démocratie fait entrer dans la vie publique. Sans y compter absolument, il aimait à espérer que, si les systèmes plus absolus ou plus larges venaient à manquer à leur tâche, les nations seraient ramenées au régime constitutionnel par une double nécessité, celle de garantir l’ordre social et celle de maintenir la liberté, qui est désormais un si impérieux besoin de l’âme humaine que l’anarchie même ne pourrait l’en guérir. Hélas! nous craignons que notre ami et ceux qui partagent ses espérances oublient que, dans la vie des peuples comme dans celle des individus, les saisons brillantes sont toujours courtes, et qu’une fois envolées, elles ne reviennent plus. Elle ne recommencera pas, cette saison, même pour l’Angleterre, exemple toujours montré par ceux qui gardent foi au régime constitutionnel, car si ce pays n’est pas disposé à renoncer de sitôt à ce régime, il s’est au moins si bien préparé à s’en passer, que le jour soit proche, soit lointain, où il serait amené pour une cause ou une autre à en sortir, il pourrait glisser dans la forme politique la plus voisine sans s’apercevoir d’aucun changement essentiel.

Il nous semble qu’on peut comprendre maintenant comment Saint-René Taillandier a été constamment heureux. « Je n’ai jamais eu de chagrin si profond, disait Montesquieu, qu’une heure de lecture ne l’ait dissipé. » Le secret du bonheur de notre ami, c’est