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du lettré, il n’a jamais occupé, en dehors de l’enseignement, d’autres fonctions que celle de secrétaire général du ministère de l’instruction publique à laquelle lui donnaient doublement droit ses titres d’universitaire et d’écrivain. C’est dans ce poste où il fut nommé au commencement de 1870, et qu’il garda jusqu’en 1873, que le surprit la guerre d’Allemagne. Il en ressentit toutes les tristesses avec une amertume patriotique extrême dont les éloquentes préfaces de son livre sur la Serbie et de ses Drames et Romans de la vie littéraire contiennent l’expression vibrante. Il sortait à peine de ces fonctions lorsque le choix de l’Académie française l’appela à succéder au père Gratry, et le bonheur qui a constamment accompagné Saint-René Taillandier se montra dans le hasard qui lui donnait à remplacer un homme avec lequel il n’était pas sans ressemblance. Ce bonheur se fit voir encore d’une manière plus piquante peut-être dans la seule mésaventure que notre collaborateur ait connue dans le cours de sa double carrière. Nous voulons parler de ces regrettables scènes de tumulte qui, en 1877, le forcèrent à suspendre ses leçons. Or, à cette époque, Saint-René Taillandier avait déjà reçu les visites du mal qui devait l’emporter. Sans se croire atteint, il se plaignait de la fatigue extrême que lui causait l’effort nécessaire à l’orateur, mais par devoir cependant il fût resté sur la brèche; en le forçant à se renfermer dans ses seuls travaux d’écrivain, l’incident auquel nous faisons allusion le conserva encore deux ans à nos lecteurs.

Cette mésaventure lui était value par sa fidélité à ses opinions politiques. Ses leçons sur l’éloquence française pendant la révolution parurent à certains groupes de ses auditeurs d’un feuillantisme trop accentué. Il était un peu tard pour reconnaître la nature de son libéralisme, car les sentimens qu’il avait exprimés en cette occasion étaient ceux qu’il avait professés toute sa vie, ainsi qu’il s’attacha à l’expliquer dans une brochure justificative de l’esprit de son cours, les Renégats de 89, où se fait jour à chaque page le douloureux étonnement que cette brusque attaque lui fit éprouver. Cette justification était inutile à ses nombreux lecteurs, qui pouvaient depuis longtemps nommer sans crainte d’erreur le parti auquel il se rattachait. De même que, dans les questions philosophiques ou religieuses, il cherchait toujours le point d’accord entre le christianisme et la raison, dans les questions politiques, il cherchait le point d’accord entre l’ordre et la liberté, et dès sa jeunesse il s’était arrêté au système constitutionnel comme à celui qui répondait le mieux aux conditions nécessaires à cette alliance. Il est mort, pour ainsi dire, en confessant ses opinions, car ses novissima verba ont été ces beaux récits intitulés : le Roi Léopold et la Reine Victoria, écrits pour compléter et relier ensemble les