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sur la tyrannie de l’église luthérienne en Suède et les persécutions dont elle affligeait les dissidens il y a quelque vingt-cinq ans. Pour la même raison il était porté d’une attraction invincible vers tout esprit en qui il reconnaissait le tourment religieux, même quand cet esprit n’appartenait bien distinctement à aucune communion chrétienne ; tout ce qu’il lui demandait, c’était de présenter les signes incontestables de la sincérité et du sérieux. Saint-René Taillandier est, je crois, le seul écrivain de nos jours qui, sans sortir des croyances catholiques, ait su s’élever à ce christianisme compréhensif qui a rendu célèbre le nom de Channing. Comme l’illustre prédicateur unitaire, il se refusait à être séparé pour des dissidences de forme de la communion morale avec les âmes nobles et vertueuses qui appartenaient à d’autres églises que la sienne. C’est là le sentiment élevé qui explique la sympathie ouverte dont il a fait preuve pour les révoltés hussites du XVe siècle et leur dernier grand représentant, le roi George Podiebrad.

Le sujet était épineux pour un écrivain qui se réclamait du catholicisme. Saint-René Taillandier, l’abordant avec franchise, n’a pas hésité à réprouver la politique dont usa la cour de Rome pour avoir raison des hussites, politique conciliante un jour et le lendemain intransigeante, repoussant par ses légats les compactats concédés par le concile de Bâle, soufflant le feu de la division entre la Bohême et la Hongrie et démembrant ainsi la force de résistance de l’Europe orientale devant l’invasion ottomane. Dans tout ce récit des luttes de George Podiebrad contre Rome, il y a chez l’historien une véhémence d’accent et comme un frémissement continu d’irritation qui étonnent quand on se rappelle les croyances qu’il professait. Que cette cause ait eu sa grandeur, nous n’y contredisons pas ; ce dont on peut douter, c’est qu’elle contînt en elle la vertu de rénovation religieuse que notre ami croyait y apercevoir. Autant l’œuvre de Luther, un siècle plus tard, sera originale et hardie, creusée et fondée dans le tuf même de la croyance chrétienne, autant l’entreprise de Jean Huss et de ses disciples, dirigée surtout comme elle l’était contre l’édifice extérieur de l’église, nous semble à la fois incertaine et téméraire. Les hussites, peut-on dire, demandaient trop ou trop peu, trop pour être autorisés à se dire encore catholiques comme ils prétendaient vouloir le rester, trop peu pour être autorisés à se séparer de l’unité chrétienne et à faire église à part. Question mal posée qu’un essai de réforme qui entraînait la Bohême à ne pouvoir ni rester unie à Rome, ni se séparer de Rome. Les hussites avaient le droit de se dire catholiques, avancent nombre d’écrivains dont fait partie Saint-René Taillandier, car ils ne niaient ni l’église universelle représentée par les conciles, ni l’autorité du pape comme président de l’unité chrétienne ; ils niaient ses droits à