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de partis. Sismondi enfin a été presque toujours présenté comme un disciple de la philosophie du dernier siècle et un adversaire à peine déguisé du christianisme; nous avons désormais le moyen de contrôler l’exactitude de cette accusation. En réalité, Sismondi n’est le disciple que de l’histoire et l’adversaire que du fanatisme. Le principe constant de toutes ses opinions est la tolérance, mais ce principe, ce n’est pas dans l’incrédulité du dernier siècle qu’il l’a puisé, il est pour lui le résultat de l’enseignement de l’histoire universelle, et la conséquence de sa foi en une morale invariable qui n’a d’égard ni pour les préjugés des multitudes, ni pour les convenances politiques des gouvernemens. Ce que Sismondi reproche au fanatisme est précisément ce que nous entendions, il y a un instant, le roi Frédéric-Guillaume IV reprocher à la révolution, l’indulgence pour tout ce que Dieu ordonne positivement de regarder comme crimes. Sur ce sujet, toujours d’actualité dans tous les temps et chez tous les peuples, il a des paroles d’or qu’on ne saurait trop méditer, celle-ci par exemple : « Le sentiment moral, qui est un frein suffisant pour les âmes honnêtes lorsqu’il s’appuie sur l’opinion publique, est sans force lorsqu’il doit lutter contre elle, car le propre du fanatisme est de créer une opinion publique au sens contraire de la morale... » De telles paroles suffiraient seules pour mériter à cette correspondance une place choisie dans la bibliothèque de tout vrai libéral de ce temps-ci sur le rayon sacré où ne figurent que les livres de pure lumière, étrangers aux fureurs de l’esprit du secte, aux égaremens de l’esprit de parti et aux complaisances envers les erreurs populaires.

Avec la Comtesse d’Albany, Saint-René Taillandier venait, sans trop le chercher et pour les seules nécessités de son sujet, de se créer un genre mixte, intermédiaire entre la recherche historique originale et la mise en œuvre critique de documens assemblés par d’autres que par lui. Ce genre une fois créé, il reconnut l’heureux parti qu’il en pouvait tirer et il renouvela plusieurs fois l’expérience qui lui avait si bien réussi. Les publications de documens inédits dont on a pris l’habitude de nos jours ont de grands avantages, mais aussi de grands inconvéniens : elles ont le mérite de ne pas chercher à influencer le jugement du lecteur, mais elles ont le tort, incomplètes et fragmentaires comme elles le sont presque toujours, de supposer chez ce même lecteur une connaissance assez minutieuse des sujets auxquels elles se rapportent pour lui permettre de rétablir dans leur ordre de génération véritable les faits qui relient les unes aux autres les pièces mises au jour. Saint-René Taillandier pensait ainsi; aussi lorsqu’il voulait faire connaître à nos lecteurs quelqu’une de ces publications, ne se bornait-il pas à présenter les faits nouveaux