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Des réunions nombreuses en plein air à la façon anglaise ont encore lieu de temps en temps. Le 5 juin 1874, plus de quinze mille ouvriers appartenant aux différentes sections de l’Internationale se rassemblèrent au Dürgarten, aux environs de Copenhague. Les bannières des métiers et vingt-deux drapeaux rouges flouaient au vent. Le suffrage universel existe en Danemark, mais il n’y a qu’une grande ville, la capitale, et les paysans, dont beaucoup sont propriétaires, forment à la chambre le parti démocratique. Ils réclament l’économie la plus stricte, la simplicité des mœurs, et s’élèvent contre les dépenses faites dans les villes. Ils constituent une barrière solide contre les innovations brusques et violentes. Le parti libéral a fait aussi des efforts pour obtenir de l’influence sur les ouvriers. MM. Rimestod et Sonne ont favorisé la création d’associations ouvrières dans le genre de celles fondées en Allemagne sous l’inspiration de Schulze-Delitsch et de Max Hirsch. Il en existe déjà plus de cent répandues dans tout le pays. Le parti socialiste a été très ébranlé par l’improbité de ses deux chefs Pio et Geleff, qui, sous prétexte de fonder une colonie d’expérimentation en Amérique, ont enlevé la caisse de l’association. Une femme-auteur, Jacquette Lilyenkrantz, s’est mise à la tête du mouvement ouvrier, à qui elle consacre tout son temps et ses ressources. De divers côtés, les femmes commencent à prendre une part très active aux menées socialistes. La Russie a donné l’exemple.

En Suède, le terrain est encore moins favorable pour le développement du socialisme, car 85 pour 100 de la population habitent la campagne, et les familles des cultivateurs fabriquent encore eux-mêmes beaucoup des objets qu’ils consomment : ustensiles, outils, instrumens aratoires, toile, étoffes grossières. La grande industrie n’existe que dans quelques districts. Le pays est admirablement administré. Le bien-être est réel et général. L’instruction est répandue dans toutes les classes. La Suède et la Norvège m’ont paru les pays les plus heureux de l’Europe et les plus dignes de l’être. Sans doute les idées socialistes y ont pénétré comme partout, et il y éclate de temps en temps des grèves, notamment parmi les ouvriers des mines. Mais l’Internationale n’a pu y prendre de fortes racines. Un émule de Schulzp-Delitsch, M. Axel Krook, a provoqué la création de sociétés coopératives de production et de consommation. En septembre 1873, un ouvrier sellier de Copenhague, Jansen, se rendit à Christiania pour y prêcher le socialisme. Personne ne voulut lui louer de local, pas même les aubergistes. Enfin aux environs, à Tyreholmen, il put annoncer un meeting’'. On y compta trente assistans. Un ouvrier norvégien, menuisier de son métier, Hagen, se joignit à lui pour répandre les idées socialistes, mais en s’appuyant sur le christianisme. Quelques étudians les suivirent, et une société