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jour eût semblé accuser la Divinité, et l’homme ne pouvoit séparer de l’idée de Dieu ce qui lui ressemble, car les vertus sublimes sont-elles autre chose que les idées divines elles-mêmes mises en action et qui viennent se représenter sur la terre ? Il eût suffi de vous connoitre pour concevoir et adopter sur l’homme ces grandes idées. Je le sentois quand j’avois le bonheur de vivre avec vous ; je le sens encore en vous lisant et en me rappelant dans la solitude tout ce que j’ay vu ; car votre vie entière m’est présente, et toutes vos années remplissent les jours et les momens que je passe loin de vous. Votre tendre amitié adoucit le sentiment de mes peines. De toutes les consolations c’est la plus douce et celle qui pénètre le plus à l’âme quand elle est blessée.


C’était des côtes de Provence que Thomas adressait à Mme Necker cette lettre où s’épanchait son âme blessée. Le mauvais état de sa santé le força, en effet, à passer dans le Midi, loin de Mme Necker, les dernières années de sa vie. Elle ne devait point voir exaucer le vœu qu’elle formait lorsqu’elle lui écrivait : « J’aime à penser dans mes rêves romanesques qu’on m’élèvera un monument parmi les beaux arbres de Saint-Ouen. Vous en ferez l’inscription et dans vos promenades solitaires vous le regarderez. Insensiblement alors mon idée viendra se présenter à votre imagination. Mes défauts seront effacés par la mort ; vous direz : Elle n’est plus pour moi, et elle eut pour moi la plus tendre amitié. C’est ici que cette âme trop tendre déposoit dans mon sein ses pensées et ses sentimens. Rien ne l’afflige plus à présent, mais elle ne peut changer de nature, et elle doit jouir de mes regrets. » À peine âgé de cinquante ans, Thomas mourut à Oullins, près de Lyon, dans la maison de campagne de l’archevêque, M. de Montazet. Il mourut entre les bras de son ami Ducis, non sans tourner sans doute, même à cette heure solennelle, une pensée de tendresse et de regret vers l’amie qui avait tenu tant de place dans sa vie ; il mourut comme elle aurait voulu le voir mourir, demandant à la religion le dernier mot des problèmes qui avaient agité son esprit et la confirmation des espérances qui avaient soutenu son cœur. La douleur de Mme Necker fut profonde et les lettres qui lui furent adressées de tous côtés en portent témoignage. « Une amitié de vingt ans, un cœur comme le vôtre ! lui écrivait Moultou. Ah ! j’ai senti toute l’amertume de votre douleur. Ses ouvrages feront respecter sa mémoire, et l’amitié que vous eûtes pour lui dira qu’il leur était encore supérieur. » D’un commun accord, on la considérait comme chargée de veiller aux soins de la gloire de son ami et c’était à elle que Saint-Lambert, chargé de recevoir à l’Académie le successeur de Thomas, s’adressait pour rassembler les matériaux de son discours : « Je ne songois pas, madame, à vous prier de vous occuper en ce moment du soin de