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Samoa, dans la question du monopole du tabac. Celui qu’on a appelé le chancelier de fer n’est content ni des hommes, ni des partis, ni même de la situation générale de l’Allemagne, car, à propos de cette modeste affaire de Hambourg, il va jusqu’à signaler avec une hardiesse singulière un mal plus profond, l’affaiblissement de l’idée de l’unité allemande. « Oui, a-t-il dit défiant les protestations, cette idée s’affaiblit. Le particularisme fait des progrès, les luttes des partis s’accentuent, le champ où s’entre-choquent les passions s’agrandit. J’ai le droit de vous le dire, je suis un témoin compétent... » Chose étrange! le grand sceptique laisse éclater dans ce discours un sentiment superbe de mélancolie auquel on n’était pas accoutumé. « Je ne suis plus jeune, dit-il, j’ai vécu et aimé, j’ai combattu aussi; je n’ai jamais eu qu’un guide dans ma carrière de ministre, c’est la volonté de l’empereur, et si je n’ai pas encore quitté mon poste, c’est parce que je n’ai pas pu abandonner l’empereur à son grand âge, contre sa volonté; j’en ai eu le désir plus d’une fois. Je vous l’avoue, je me sens las, las jusqu’à l’épuisement, surtout quand je vois les obstacles qui surgissent devant moi chaque fois que j’ai à défendre l’empire allemand, la nation allemande, l’unité allemande. »

Que dans tout cela il y ait un peu l’art du grand comédien politique, c’est possible ; il ne faudrait pas trop s’y fier, et à travers ce dégoût altier des choses, le tacticien se retrouve dans les derniers mots du discours, par lesquels le chancelier menace les nationaux-libéraux, — s’ils se refusent à le suivre, — de livrer le pouvoir au centre catholique et aux conservateurs. M. de Bismarck a pu exagérer avec calcul pour rallier une majorité. Il y a certainement aussi dans ce langage la sincérité d’un homme qui se sent aux prises avec des difficultés de tout genre. M. de Bismarck subit le sort de tous les grands dominateurs. Il a cru pouvoir jouer avec tous les partis; il s’est servi tour à tour des libéraux-nationaux contre le centre catholique, du centre contre les libéraux-nationaux, promettant aux uns la paix religieuse, aux autres le maintien des lois de mai; il a fini par rencontrer la défiance de tous. L’affaire de Hambourg peut être encore facilement arrangée dans la commission où elle a été renvoyée. La situation dévoilée par M. de Bismarck ne reste pas moins saisissante, et ce sont peut-être les élections anglaises qui auront contribué à en dégager le caractère en faisant éclater ces redoutables aveux.

C’est, à ce qu’il paraît, le moment des crises, et l’Italie à son tour vient d’être conduite par les conflits parlementaires à une dissolution de la chambre des députés, à l’agitation électorale qui remplit depuis quelques jours la péninsule. C’était, à dire vrai, un peu prévu dans les conditions précaires où vivait le ministère Cairoli-Depretis, toujours affaibli par les divisions de son propre parti, par la guerre que lui faisaient les dissidens de la gauche, M. Crispi, M. Nicotera, M. Zanardelli.