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leur influence sur l’organe cérébral et par conséquent sur la pensée; c’est ce que démontre la pathologie et même l’observation vulgaire. On sait que la folie a très souvent son origine dans les troubles des organes intestinaux. Les troubles, et même les révolutions naturelles qui ont lieu dans les organes de la génération ont également leur retentissement dans la pensée et surtout dans l’imagination ; on sait leur influence sur les rêves; il en est de même de la nutrition : les phénomènes du cauchemar en sont un des effets les plus saillans. De même l’action des narcotiques, des liqueurs fortes sur l’esprit est des moins contestables; or, ces agens n’affectent directement que l’estomac et les intestins. Enfin l’état général de l’organisation donne naissance au sentiment fondamental de l’existence et à ces états de bien-être et de malaise vagues et diffus qui constituent notre humeur, qui interviennent dans le développement de notre intelligence, soit pour en faciliter, soit pour en contrarier le cours.

En conséquence, la philosophie de Condillac est insuffisante en ce qu’il a considéré seulement la sensibilité externe, les sens proprement dits, il a complètement négligé, omis une autre partie de la sensibilité, non moins importante et supposée par l’autre, à savoir la sensibilité interne ou vitale, et toutes les impressions et déterminations qui en dérivent.

On voit quelle est l’importance de cette première modification introduite par Cabanis dans la doctrine condillacienne. Elle est beaucoup plus grave et plus profonde que celle de Destutt de Tracy, qui cependant avait aussi une sérieuse valeur. Celui-ci avait signalé l’importance du phénomène de mouvement dans la formation de nos perceptions. Il avait fait remarquer que, sans le mouvement, et surtout sans le mouvement voulu, et enfin sans le mouvement empêché, il n’y aurait pas de notion du monde extérieur. Cette pari faite au mouvement dans la perception extérieure est une vue notable, et les psychologues anglais contemporains, par exemple M. Bain, lui attribuent avec raison une haute valeur. Ils ont seulement le tort d’ignorer, avec beaucoup d’autres choses, que cette vue appartient en propre à la psychologie française, et en particulier à Destutt de Tracy et à Maine de Biran. Ce fut là, évidemment, un progrès des plus sérieux dans la philosophie de Condillac. Néanmoins cette réforme ne portait que sur un point spécial. Au contraire, la réforme de Cabanis renouvelait et transformait le condillacisme de tous points. Il creusait plus avant que les idéologues, et au-dessous de la sensibilité externe, il dégageait la sensibilité interne, qui est la base de l’autre et qui cependant en est distincte. Locke, Condillac, Hume, enfin presque tous les philosophes du XVIIIe siècle n’avaient considéré l’homme