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vivement: « Rien à dire ni pour le dessin, ni pour la couleur, ni pour le faire. » N’êtes-vous pas bien tenté d’apprendre ce qui manque donc à La Grenée ? Vous allez le savoir : « Mon ami, tu peins, tu dessines à merveille, tu sais étudier la nature, — vous voyez qu’il enchérit et qu’en fait de technique il ne disputera rien à La Grenée, — mais,., mais tu ignores le cœur humain. » Nous y voici! La netteté, la précision que Diderot ne peut pas mettre dans ses jugemens comme critique d’art, et qu’il y veut mettre pourtant, pour ne pas destituer sa critique de toute autorité, c’est comme littérateur et comme dramaturge qu’il va se faire tout un système de les y mettre. Que La Grenée, qui fait métier de peindre, sache peindre ou ne sache pas peindre, c’est bien de cela qu’il s’agit! « Rendre la vertu aimable, le vice odieux, le ridicule saillant, » tel doit être le projet de tout honnête homme qui prend « la plume ou le pinceau. » Vous qui vous demandiez pourquoi ce philosophe avait écrit Jacques le Fataliste, vous le saurez désormais : c’était pour rendre « la vertu aimable. »

Importer des intentions de prédicateur dans la littérature, — et de prédicateur de quel évangile! — importer pareillement des intentions de littérature dans la peinture, nous connaissons désormais l’idéal de Diderot. Il parle donc de peinture en pur littérateur qu’il est. Il n’a pas seulement juxtaposé le domaine des deux arts, il les a superposés et il a trouvé que la coïncidence était parfaite. Non-seulement il n’y a rien, selon lui, dans le champ de la peinture qui ne paisse être transposé dans le champ de la littérature, ou réciproquement, mais il fait de la valeur littéraire d’une toile l’infaillible mesure de sa valeur pittoresque. « Ordonner une composition, une scène de mœurs, une scène pathétique... une scène de famille... » tel est le fin et le tout de l’art. Il dira donc bravement : « Otez aux tableaux flamands et hollandais la magie de l’art, et ce seront des croûtes abominables ; le Poussin aura perdu toute son harmonie, et le Testament d’Eudamidas restera une chose sublime. » C’est exactement comme s’il disait : ôtez aux comédies de Molière la magie de l’art et il vous restera.... le drame bourgeois de Diderot. Voilà bien sa vraie pensée, le dernier mot de son esthétique. Otez l’exécution et ne regardez qu’à l’intention, — ôtez la forme, et avec la forme le fond, car dans toute œuvre d’art digne de ce nom, ils se pénètrent intimement l’un l’autre, — et ne regardez qu’à la bonne volonté, — ôtez l’art enfin et ne regardez qu’au sujet.

Le sujet, — c’est ce qui le préoccupe. Juger des sujets, c’est sa partie, fournir des sujets aux peintres dans l’embarras, c’est devenu sa spécialité. Résisterons-nous au plaisir d’en rappeler un ? Il s’agissait « d’éterniser les marques de bonté qu’il avait reçues de la grande souveraine. » La grande souveraine ! cette terrible impératrice Catherine dont il avait été la si bonne dupe ! « Élevez son buste ou sa statue sur un piédestal, entrelacez autour de ce piédestal la corne d’abondance, faites-en sortir