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d’Alep, le peuplier blanc, les allantes, le pin parasol, demandent pour vivre que leurs racines pénètrent dans un sol imprégné d’eau douce ; et la pluie qui filtre à travers les dunes depuis longtemps dessalées entretient, à quelques mètres au-dessous de la surface, une humidité favorable à la végétation arborescente. L’eau des bas-fonds, au contraire, est saumâtre et quelquefois salée ; et la flore très pauvre de ces anciennes lagunes desséchées ne présente que des joncs, des salicornes, des soudes au feuillage terne, aux fleurs indécises, à l’aspect maladif et étiolé.

Il n’est pas très aisé de déterminer aujourd’hui avec précision quelle était dans les siècles passés la situation respective du Rhône, des étangs et de la mer. On peut cependant regarder comme certain que, dans la période préhistorique, toute la plaine d’Aigues-Mortes, entièrement formée par les alluvions paludéennes et maritimes, était à peu près recouverte par les eaux mélangées du fleuve et de la lagune. L’étude géologique du sol démontre que les quatre cordons littoraux dont nous venons de parler ont détaché l’un après l’autre une nouvelle portion du domaine maritime. La mer a donc dû reculer peu à peu devant les alluvions du Rhône ; et il s’est formé successivement une baie ouverte, puis une baie fermée, enfin un marécage dont le fond s’exhausse chaque jour et deviendra, dans la suite des temps, une terre tout à fait émergée et cultivable.

Ainsi le premier cordon littoral, situé au nord de la ville d’Aigues-Mortes et qui forme le massif de la Sylve Godesque marque d’une manière fort nette la limite la plus ancienne du rivage bien antérieure aux plus hautes époques historiques connues. Sous l’action successive des ensablemens produits par les vents du sud-est, de nouvelles flèches de sable, tout à fait semblables aux lidi de l’Adriatique et formant trois nouveaux cordons littoraux en avant du premier, ont isolé successivement les étangs de Leyran, de la Marette, des Caïtives, de la Ville, du Roi, du Repausset et du Repos; et l’on verra très certainement dans les siècles futurs un cinquième lido qui fermera le golfe même d’Aigues-Mortes. Ce dernier cordon littoral est même déjà en voie de formation ; il s’enracine à la côte sur la pointe de l’Espiguette, dont l’avancement en mer a été récemment signalé par les mesures les plus précises, et viendra se souder à l’embouchure du Lez sur la plage de Pérols.

On ne peut, bien entendu, connaître que l’âge relatif de ces lignes de dunes, et on chercherait vainement à préciser l’époque exacte de leur formation. Mais ce que l’on peut nettement affirmer, c’est que, d’une part, le premier cordon littoral marque la limite extrême du domaine maritime aux temps les plus reculés, et que, d’autre part, la plage actuelle, formée par le quatrième cordon, et