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REVUE DES DEUX MONDES.

Saisi d’émotion, je pénétrai dans ta chambre, — dans ce séjour tranquille et pur — comme les chastes songes de l’enfance.

La timide et vacillante lumière — d’une lampe d’or éclairait — complaisamment ta beauté.

Ah ! en dépit de l’âge, je vois encore — ton image mélancolique et gracieuse — comme jamais ne la soupçonna le désir.

Vêtue d’une robe blanche flottante, — ta chevelure libre et dénouée — retombait sur tes belles épaules.

Ton regard, se fixant sur le mien, — vif et pénétrant comme l’éclair, — enflammait le sang de mes veines.

Timide, émue, rougissante, — avec un sentiment d’inquiétude et de crainte — répandu sur ton visage angélique,

Tu me vis apparaître, et du doigt — m’indiquant un siège, pour la première fois, — tes lèvres m’appelèrent tout bas, bien bas.

Et en prononçant mon nom, ta voix était comme le roucoulement de la tourterelle qui fait son nid, — et, amoureuse, attend son tendre époux.

L’âme gonflée d’impatience et de crainte, — je me levai lentement — et à tes pieds je m’agenouillai, lumière de ma vie ;

À tes pieds je m’agenouillai, mais si plein — d’émotion que, pâle et interdit, — je sentis ma voix s’étouffer dans ma gorge.

Enfin, comme le ruisseau gonflé — qui déborde et roule ses eaux en furie, — mon amour éclata sourdement.

Il éclata en termes de feu, — avec des expressions incohérentes, brisées — par le désir, la passion, la prière.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

J’ignore ce que te dit alors ma tendresse, — mais je sais qu’en entendant mes accens, — tu baissas doucement la tête.

Je sais que dans cette irrésistible extase, — plus d’une fois, malgré toi sans doute, — ton haleine se confondit avec la mienne ;

Je sais que dans cette dure et terrible épreuve, — toi, ignorante des luttes amoureuses, — tu dus demander protection au ciel.

Je sais, et à sonder ma blessure ouverte, — je verse encore d’abondantes larmes, — je sais qu’émue, fascinée, hésitante ;

Comme le pauvre petit oiseau qui accourt — à tire-d’aile à l’appel de l’oiseleur, tu me dis, — en tombant dans mes bras : Je t’aime ! je l’aime !

Que pouvais-je entendre de plus ? Et qui résiste — au charme délicieux de la voix aimée, — triste et passionnée tout ensemble !

Au dedans de moi, la vie sembla grandir — et devant mes yeux, je vis briller tout proche — le bonheur tant désiré et jamais atteint.

Je t’embrassai avec une force surhumaine — et j’imprimai mes lèvres ardentes — sur tes lèvres de rose ;