Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retraçant les mêmes souvenirs, rapportant le même fait, sans jamais le revêtir des mêmes formes, et sans pourtant altérer le fond du récit. Il lui arrive de se tromper, sa passion peut l’égarer, mais sa mémoire est tenace, et, à vingt ans de distance, un incident qui l’a frappé sera raconté avec une entière nouveauté d’expressions, évitant à la fois une copie servile ou des variantes suspectes.

M. Cousin n’a pas connu la réponse de Louis XIII à Claude de Saint-Simon sur Mlle d’Hautefort; il n’aurait pas manqué de la citer, lui qui a si bien deviné les souffrances de « ce cœur mélancolique et chaste[1]. » A défaut de cette anecdote, il en rapporte une autre connue de tous les contemporains et que Saint-Simon raconte également. Nous verrons quel tour notre auteur sait donner d’un mot aux plus simples récits: « C’est ce roy, dit-il au cours d’une note sur celle qui fut la maréchale de Schomberg, qui, tâchant de prendre un billet des mains de Mlle d’Hautefort qu’elle ne vouloit pas luy montrer, respecta l’asyle de sa gorge, où elle le jeta, comptant bien qu’avec luy le billet y seroit en seureté... » Jusque-là, rien que de banal ; écoutez les deux lignes qui suivent : « Et voilà l’action dont sa cour se moqua, mais que les Romains auroient immortalisée et que les saints connoissent. » (Duchés-Pairies, p. 162.) Ainsi d’un coup d’aile il s’enlevait tout à coup, se sentant heureux de rendre aux vertus de Louis XIII, en quelque lieu qu’il écrivît et en rompant avec les formes vulgaires, un hommage dont son cœur ne se lassait pas.

De ce portrait, tel que nous le donne l’auteur du Parallèle, apparaissent clairement les défauts du roi et les humbles mérites de l’homme. Voyant avec une « tranquillité incomparable » passer sur la tête de ses serviteurs « une infinité de grandes choses qui n’estoient dues qu’à luy seul, » méprisant le monde, vivant en pénitent, on ne peut pas dire que ce prince fût faible, car « il se défioit de lui-même avec lumière, » (P. 81.) Fort préoccupé de ne nuire à personne, il surveillait ses propres amusemens. Il aimait toutes les sortes de chasses, mais il voulait que « ni la dépense, ni le temps ne coûtât jamais à ses affaires, ni à ses sujets. Il estoit même scrupuleux à réparer le tort que ses chasses pouvoient faire. Mon père m’a conté que ce prince estant au vol, cette chasse s’arrêta assez longtemps dans un champ où le blé commençoit à pousser qui fut si maltraité du piétinement des chevaux qu’il luy ordonna de payer le propriétaire sur le pied d’une année commune de récolte; mon père le fît et, curieux après de sçavoir ce que seroit devenue cette production, il apprit qu’elle avait été comme dans les meilleures années. » (P. 81.)

  1. Victor Cousin, Madame de Hautefort, p. 8.