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la lumière dissipe les nuages que l’attachement de Richelieu pour la reine-mère avoit formés contre luy dans son esprit, l’esprouver, le suyvre, le discuter pour ainsy dire dans le conseil et dans les entretiens peu à peu particuliers sur les affaires. Admirons donc la justesse de tact de Louis XIII auquel seul ce choix si excellent est dû, puisque le goût n’y entra pour rien et qu’il fut déclaré avant qu’on put s’y attendre. C’est cette connoissance si rare, ce don de discernement surtout lorsqu’il triomphe du goût et des répugnances qui fait la partie la plus intégrante du grand art de régner. Les rois sont hommes, leur tête ni leur temps ne peut suffire à tout. »

Avant de pénétrer plus avant dans son sujet, l’historien donne pour titre à ce qui va suivre : « Mon entière impartialité sur le cardinal de Richelieu. » « Si je donne des louanges au cardinal, je n’y suis porté que par la justice. Mon père devoit tout au roi et rien à lui. » Saint-Simon raconte avec complaisance les rapports de son père avec Richelieu, et la conversation tenue dans la nuit où le favori réveillé vit s’asseoir sur son lit le cardinal, qui venait lui confier ses inquiétudes et lui demander conseil; il fait le récit complet de la journée des dupes[1], où Claude de Saint-Simon, uniquement par intérêt pour le roi, avoit conseillé de rappeler Richelieu, dégoûté par les cabales, congédié par la reine mère et prêt à gagner son gouvernement du Havre. Il rassemble plusieurs faits et se demande enfin si Richelieu a gouverné son maître. « Les grandes choses, dit-il, qui ont rendu ce règne si glorieux, le rasement des forts de la Valteline et les Grisons rétablis dans leur souveraineté et maistres de leurs passages, l’abattement entier des huguenots et des restes de la ligue, l’abaissement de la puissance de la maison d’Autriche par l’entrée et les exploits du roi de Suède en Allemagne, le soutien si admirable de ce parti après la mort de Gustave, les affaires d’Italie si heureusement terminées, l’acquisition des trois Eveschés, la révolution de Portugal et tant d’autres moindres, mais toutes également difficiles et importantes, avec le maintien de la religion catholique et de son exercice partout où il avoit été avant l’occupation des Suédois et des autres potentats d’Allemagne, éviter de se brouiller avec Rome ni trop avec la ligue catholique d’Allemagne, sont généralement attribuées au puissant génie du cardinal de Richelieu. Je ne prétends pas luy vouloir contester d’avoir esté en ce genre le plus grand homme que les derniers siècles ayent produit, mais il n’est pas moins vray qu’aucune des grandes choses qui se sont exécutées de son temps ne l’ont été

  1. Ce morceau qui a été donné, ici même, pour la première fois en 1834 et qui a été publié depuis par tous les éditeurs des Mémoires d’après le texte de la Revue, n’appartenait à aucun ouvrage connu de Saint-Simon ; nous l’avons retrouvé dans le Parallèle.