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presque sans travail. Non-seulement il tenoit des conseils toujours effectifs, je veux dire où les affaires se proposoient, se débattoient, se digéroient, se suivoient, se décidoient, mais c’estoit un charme de voir ce prince, également appliqué, familier, affable, en plus faire en quatre ou cinq tours d’allées de galerie que d’autres dans les travaux de cabinet les plus réglés, les plus longs, les plus réitérés. Tantost il prenoit un ministre, tantost un seigneur, tantost un capitaine, quelquefois deux ensemble d’avis différens jusqu’à trois, quelquefois quatre, et là discuter, sonder les gens, demesler leurs intérêts, leurs haines, leurs affections, leurs raisons, résumer ou seul ou avec de plus confidens et de plus désintéressés et, tout en prenant l’air et se promenant, prendre avec poids les résolutions sur tout ce qu’il avoit entendu et demeslé, se faire rendre un compte exact de l’exécution de chaque chose jusqu’à parfin, pomper ainsy les cœurs et les esprits avec légèreté et mettre ministres grants et petits en dessarroy par l’usage de parler à plusieurs, et à gens d’inclination, d’estat, de système, d’intérests, de liaisons toutes différentes. Il tiroit ainsy le suc de toutes fleurs comme les sages abeilles et comme un habile chimiste tourne en remèdes les poisons. C’est ainsy qu’un sage roy gouverne en effet et sçait s’empescher d’estre gouverné. » (P. 145.)

Il semble que tout soit dit sur Henri IV. Voyons maintenant par quel étonnant jeu d’esprit et avec quelle fécondité d’imagination, Saint-Simon reprend le sujet, retrouve le même ordre d’idées, fait les mêmes éloges, sans user des mêmes mots, ni se copier lui-même :

« Henri IV ne fut, ni ne parut jamais gouverné. Louis XIII le parut et ne le fut point en effet. Louis XIV le fut toujours et le parut toujours. Henri IV sut bien choisir en tous genres. Il éblouit par ses exploits personnels et n’étonne pas moins par la sagesse, la fermeté, le juste équilibre de son gouvernement. Une familiarité martiale, mais mesurée, que ses divers états et ses divers besoins lui avoient acquise, un esprit vif plein d’agrémens, un langage aisé et naturel qui quelquefois sentoit un peu trop le camp, une gaieté et une facilité parmi les choses les plus sérieuses, un sens droit et juste sur toutes celles où l’amour ne le tyrannisoit pas et où certaines faiblesses ne le dominoient pas, un accès toujours ouvert avec un air de bonté, rendirent tant de grandes qualités aimables, avec cette habitude contractée de ses diverses fortunes de savoir parler à chacun le langage qui lui convenoit, et de ne s’embarrasser d’aucun personnage, à quoi ses détresses l’avoient accoutumé; mais singulièrement supérieur à tenir de court ministres, généraux, personnages de toutes les sortes par ses entretiens familiers avec eux teste à teste, surtout avec gens de différentes liaisons