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miel. Victor Cousin croyait (et M. Bersot l’approuve) que l’enseignement de la jeunesse ne peut être que dogmatique. Pourquoi cela? demanderons-nous. Quelle nécessité y a-t-il de présenter les choses autrement qu’elles ne sont, d’appeler certain ce qui est incertain ou simplement probable, de prendre le ton de Moïse descendant du Sinaï au lieu du ton de la science, qui dit : Nous savons ceci, nous ne savons pas cela, nous sommes ici réduits à telle conjecture, fondée sur telles et telles raisons? On aura beau annoncer une métaphysique définitive ; les systèmes de métaphysique paraîtront toujours inachevés et auront toujours je ne sais quoi de provisoire. Ce sont des harmonies austères et sublimes, mais à cadence incomplète, qui, se terminant sur une note sensible au lieu d’un accord parfait, font que l’oreille et l’esprit attendent toujours quelque chose encore. Les philosophes ne peuvent qu’ébaucher des fragmens d’une symphonie sans commencement et sans fin. Dès lors, la méthode du professeur doit se résumer en deux mots : — Soyez d’une sincérité absolue, d’abord avec vous-même, puis avec les autres. — Si nous avons ici contre nous Victor Cousin, nous avons pour nous Socrate et Kant. Que gagne-t-on d’ailleurs à vouloir donner toute la philosophie pour une science positive, toutes les hypothèses pour des démonstrations, toutes les probabilités pour des certitudes? On y gagne de jeter le soupçon et de faire naître le doute même sur les parties solides de la philosophie. On y a tant affirmé de choses douteuses qu’une foule de gens se défient aujourd’hui des philosophes démontrant leurs théories comme des prédicateurs démontrant leurs dogmes. Que devra donc être la méthode, si elle n’est ni dogmatique ni sceptique? — Elle sera historique et critique. C’est de Kant que doivent s’inspirer pour la méthode nos professeurs de philosophie, comme on le fait partout aujourd’hui en Allemagne et même en Angleterre après les travaux de Kant en Allemagne, d’Auguste Comte en France, de Hume, de Hamilton et de Stuart Mill en Angleterre; on ne peut plus revenir aux méthodes des derniers siècles. « Par ce temps de critique, a dit lui-même excellemment M. Bersot, plus d’une croyance mal fondée périra; mais les croyances solides se fortifieront pour résister. C’est la vie en plein air, »

M. Bersot ajoute, dans ses conseils aux professeurs de philosophie, que la méthode éclectique « donnait à la raison un surveillant peut-être incommode, mais utile : le bon sens. » Il veut conserver ce contrôle, pourvu que le bon sens ne surveille pas la raison « de trop près. » Par malheur, le bon sens est une chose indéterminable, et la distance à laquelle il doit se placer pour n’être pas gênant ne l’est pas moins. Nous dirons plutôt que le vrai contrôle des témérités de la spéculation dans la philosophie, c’est la science. A elle