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sa résolution. » Il insistait en même temps pour que Pierre accordât à son fils la permission, que celui-ci sollicitait, d’épouser sur-le-champ Euphrosine. Ce serait là, insinuait Tolstoï, le meilleur moyen de le déconsidérer à jamais, en prouvant au monde qu’il n’a fui que par amour pour une serve. L’ambassadeur craignait quelque déception nouvelle, soit à Vienne, qu’il était difficile d’éviter, soit durant les hasards de la route. Cependant Alexis se remit entre ses mains et refusa généreusement l’escorte d’honneur que le vice-roi dans sa prudence voulait lui donner. Le tsarévitch, fidèle à ses habitudes dévotes, manifesta le désir d’aller avant le départ vénérer les reliques de saint Nicolas à Bari. Tolstoï se prêta à cette fantaisie, et toute l’étrange compagnie, le prince, le faux page et les ambassadeurs, s’en vint en pèlerinage au tombeau du bon saint calabrais. Au retour de cette course, on passa quelques jours encore à Naples. Alexis dit adieu à la forteresse italienne qui l’avait gardé cinq mois, et n’avait pas su mieux que celle du Tyrol le dérober aux poursuites paternelles. Le 14 octobre, la petite troupe quitta Naples pour retourner en Russie par Rome, Venise et Vienne.


VII.

Le voyage fut bien lent au gré de Tolstoï : le tsarévitch l’allongeait sous tous les prétextes, curieux de voir les villes d’Italie, intraitable sur le chapitre de la santé d’Euphrosine, alors enceinte de plusieurs mois. En réalité, il ne voulait pas aller de l’avant qu’il n’eût reçu la permission sollicitée pour son mariage. Pierre répondit de Pétersbourg, à la fin de novembre, aux lettres de Tolstoï et de son fils; il souscrivait aux deux demandes dont ce dernier avait fait la condition de son retour, il l’assurait de son pardon et de sa bienveillance ; mais le mariage devait être remis à l’arrivée en terre russe, le tsar craignant le mauvais effet produit à l’étranger par une semblable union. Nous voyons là une preuve qu’à ce moment encore, Pierre songeait à soutenir la dignité et les droits de l’héritier du trône; s’il l’eût voulu perdre, il aurait accueilli les insinuations de Tolstoï, qui plaidait pour le mariage immédiat comme le meilleur moyen de procurer la déchéance du tsarévitch.

Un peu rassuré sur les projets qui lui tenaient au cœur, Alexis consentit à poursuivre sa route. Il avait désiré voir l’empereur son beau-frère pour le remercier de son hospitalité et implorer son patronage dans la suite. A mesure qu’on se rapprochait de Vienne, Tolstoï se montrait de plus en plus soucieux de la façon dont il franchirait avec sa prise ce passage difficile. Vessélovski était le confident de ses préoccupations. Le 1er décembre, Tolstoï lui dépêche de Linz, une estafette lui demandant une entrevue secrète à quelques