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les derniers détails un des cas pathologiques les plus bizarres que présentent les annales de l’hallucination, et de voir en même temps combien l’âme pouvait mêler de sentimens touchans aux plus étranges erreurs des sens.

La pieuse extatique dont nous parlons naquit en l’année 1242. Elle eut pour parens des paysans aisés du village de Stommeln, situé à environ cinq lieues au nord-ouest de Cologne. Son père s’appelait Henri Bruso, sa mère Hilla. La maison où elle vit le jour existe encore, et a conservé le nom de Brusius Haus. Son éducation fut très ordinaire ; elle n’apprit pas à écrire, et ne savait guère lire que son Psautier, où il semble qu’elle acquit une certaine habitude du latin. Elle comprenait cette langue, quand on la lui lisait lentement. Sa vie ne différa pas essentiellement de celle de tant d’autres saintes femmes qu’une dévotion ardente et un tempérament troublé conduisirent aux visions, aux sensations extraordinaires, aux stigmates. Dès l’âge le plus tendre, elle contracta, comme sainte Catherine de Sienne, un mariage mystique avec celui qu’elle appelait « son très doux, très cher, son intime époux. » Elle avait des hallucinations dévotes, des extases, des spasmes, qui duraient fort longtemps. Elle voyait Jésus-Christ, croyait sentir sa main la toucher, et restait des journées sous l’impression de ce contact. Certains cantiques allemands la faisaient tomber dans des pâmoisons qui la tenaient des heures.

Bientôt sa patience fut mise à la plus singulière des épreuves. Les démons s’emparèrent d’elle, lui firent subir les plus atroces tortures, obsédèrent son imagination des plus hideuses images, lui suggérèrent les plus affreux conseils. Le P. Papebroch s’est livré à une longue dissertation pour montrer qu’un tel fait n’est pas unique et que souvent Dieu se plaît à soumettre ses élus à cette cruelle tentation. Christine resta inébranlable. Le martyre qu’elle endurait était inouï. Toutes les douleurs de la passion de Jésus-Christ semblaient réunies en sa personne. Plongée dans la méditation non interrompue de ce que souffrit le Christ, elle sentait se renouveler en elle tous les détails de ce drame sanglant. Le plus caractérisé de ces détails, les stigmates aux pieds et aux mains, ne tardèrent pas à se montrer. Depuis que les compagnons de saint François d’Assise avaient cru devoir relever la sainteté de leur maître par cette similitude étrange avec le Christ, les stigmates passaient pour un trait de la plus haute sainteté. Pierre de Dace, dont nous parlerons bientôt, avoue qu’il y rêva depuis son enfance. Un autre ordre d’idées avait été mis en vogue, un demi-siècle avant notre Christine, par une extatique nommée comme elle Christine, de Saint-Trond-en-Hasbain, et surnommée Mirabilis: