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d’un instant ; » souvent il parle de « la sainte cohue des enquêtes, » du « fracas de la grand’ chambre ; » rien n’était moins silencieux, moins pacifique d’humeur et d’aspect que ces solennelles délibérations. Quand un avis blessait, sur une matière délicate, sur une question brûlante, l’opinion faite de la majorité, l’orateur dissident courait le risque d’être « hué et sifflé ; » ceux qu’on soupçonnait de connivence avec la cour, les ministériels honteux ou déclarés, ou, simplement, les esprits timides et prudens, accusés de complaisantes faiblesses, pouvaient difficilement se faire entendre. Les gens du parquet même, avocats d’office du pouvoir royal, ne parvenaient pas toujours à remplir leur charge : ils durent plus d’une fois céder à l’orage et se retirer. Des bancs ou siégeait la turbulente jeunesse du parlement, l’opposition des « mauvaises têtes, » le groupe nombreux des irréconciliables, il s’élevait une « clameur, un battement de mains, un bruit sourd, je ne sais quoi d’inarticulé » qui étouffait les voix importunes. A l’époque du siège de Paris, en 1649, le doyen des conseillers ayant osé donner cette conclusion : « Qu’il falloit députer vers la reine et la prier de recevoir le parlement à merci, » un aussi indigne avis souleva un tel vacarme que jamais, dit une relation manuscrite, on n’avait entendu pareil bruit dans la compagnie : la séance fut suspendue pendant un quart d’heure ; c’est à grand’peine que M. Broussel, le héros du jour, « avec sa main et son bonnet, » obtint un peu de silence pour lui-même.

Aigrie par des rancunes personnelles, la violence des passions politiques allait, mais rarement, jusqu’aux voies de fait : « Le 16 juin 1648, deux de messieurs, le conseiller Quatresols et le conseiller Bitaut se frappèrent après un échange de paroles piquantes ; leurs voisins les séparèrent. » On cite des orateurs que les démonstrations hostiles de l’assemblée étonnèrent et saisirent au point qu’ils tombèrent morts en plein discours. Au mois de juillet 1648, le conseiller Boulanger, opinant sur une question de finances, avait allégué, sans penser à mal et sans viser personne, un passage de Cicéron : Ornavit Italiam, mox domum : là-dessus, tout le parlement, y compris le duc d’Orléans présent à la séance, éclate en risées, en exclamations bruyantes, appliquant le mot aux trésors amassés en France par Mazarin ou exportés par lui en Italie.

Le pauvre conseiller, auteur involontaire de ce tumulte inattendu, se trouble ; il ne sait s’il a offensé la compagnie ou le cardinal-ministre ; il balbutie quelques explications et tombe raide mort, frappé d’apoplexie. « Un conseiller d’église, Hillerin, assis à côté de lui, n’eut que le temps de lui donner l’absolution. » Tous les orateurs ne se déconcertaient pas si facilement. L’un d’eux, interrompu par