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a prononcés dans ces quinze jours n’ont pas seulement été reproduits par tous les journaux des trois royaumes, ils ont été réunis et ont formé un volume de deux cent cinquante pages d’une impression très serrée, qui a été répandu à plus de cent mille exemplaires en Angleterre, et qui est devenu comme le bréviaire de tous les orateurs et de toute la presse de l’opposition. Cela n’a point satisfait M. Gladstone; il s’est tenu en haleine tout l’hiver par une série de discours, de lettres aux journaux et d’articles de revues, et dès que la dissolution a été annoncée, il est reparti pour l’Ecosse. Cette fois, il n’a pas laissé un seul village du Mid-Lothian sans le visiter, sans en réunir les habitans, et sans dresser pour leur édification un véritable acte d’accusation contre le ministère. Il ne se bornait pas, — il suffit d’ouvrir les journaux anglais pour s’en convaincre, — à de simples allocutions : la moindre bourgade avait droit à un discours d’au moins deux heures, et l’on pourrait compter les journées où l’infatigable orateur s’en est tenu à deux discours seulement. On reste confondu devant cette prodigieuse dépense de forces physiques et morales ; jamais la puissance de l’ambition, comme ressort de l’âme humaine, ne s’est attestée par un semblable effort. Sir Stafford Northcote a dit plaisamment pendant la lutte électorale, que M. Gladstone était en train de faire apprécier par les électeurs du Mid-Lothian tout le mérite de la brièveté. L’épigramme n’était pas sans malice, mais qui pourrait méconnaître l’impression profonde que devait produire sur les masses ignorantes l’incessante répétition du même acte d’accusation par un homme d’autant de talent et d’autorité que M. Gladstone? Quelle force n’acquéraient pas à être sans cesse reproduites, sans rencontrer jamais de contradiction, les erreurs, les assertions inexactes, les imputations malveillantes et quelquefois calomnieuses auxquelles l’orateur se laissait entraîner par son aveugle passion, et qu’il arrivait à croire sérieuses et vraies à force de les avoir répétées ! Combien d’auditeurs, de lecteurs même, étaient en état de démêler le vrai du faux, d’apercevoir les sophismes et les contradictions qui abondent dans ces longues harangues? Tout était passé en revue : politique étrangère, affaires intérieures, finances, et tout était condamné sans merci : l’Angleterre avait été déshonorée, avilie, opprimée, ruinée par le gouvernement; sa dignité, son repos, son salut exigeaient le renvoi immédiat du cabinet. Tel était le thème développé plusieurs fois par jour par M. Gladstone avec une intarissable faconde et une vigueur toujours renouvelée. Les foules, d’abord hésitantes, étaient bientôt subjuguées par l’accent de conviction de l’orateur, par sa parole chaude et colorée, et elles se laissaient entraîner à ce torrent d’une irrésistible puissance. L’effet produit se répercutait de proche en proche, et comme