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couvrent la plus grande partie du comté, et dont les fermiers se comptent par centaines. Le Mid-Lothian avait donc pour député l’héritier présomptif du duc, le comte de Dalkeith, homme aimable et de bonne compagnie, mais qui n’avait eu, comme dit Figaro, que la peine de naître. Le comte prenait un médiocre souci du mandat parlementaire qu’il tenait de la volonté paternelle, il donnait plus de temps à son écurie et à sa meute qu’à l’étude des questions politiques, et, chose rare même parmi les grands seigneurs, il n’avait aucune habitude de la parole. Les façons hautaines du duc de Buccleuch et l’espèce de despotisme qu’il prétendait exercer sur l’administration du Mid-Lothian avaient froissé un autre grand propriétaire du comté, lord Rosebery, qui fit proposer à M. Gladstone de se porter contre lord Dalkeith. L’entreprise était hasardeuse, mais moins difficile qu’elle ne paraissait l’être. Le duc de Buccleuch était un presbytérien zélé ; lord Rosebery garantissait l’appui de tous les dissidens, de tous les adversaires de l’église établie. Le duc était un propriétaire rigoureux, fort jaloux de ses chasses, n’accordant point de baux, accordant encore moins de réductions de fermage : nombre de fermiers étaient mécontens et satisferaient leur mauvaise humeur à l’ombre du scrutin secret. Les faubourgs d’Edimbourg débordent sur le Mid-Lothian et fourniraient des électeurs libéraux, indépendamment de l’influence qu’une capitale exerce toujours sur ses alentours : la grande renommée de M. Gladstone, le pouvoir de son éloquence, son immense supériorité sur son concurrent feraient le reste.

M. Gladstone accepta la proposition de lord Rosebery, et la guerre éclata aussitôt entre Dalmeny-Castle et Dalkeith-Palace. Elle eut l’Angleterre entière pour spectatrice. Malheureusement pour la maison de Buccleuch, on ne s’attaquait plus avec le mousquet et la claymore : l’éloquence de M. Gladstone renversa tout devant elle. Installé au château de Dalmeny avec sa famille, M. Gladstone employa la fin du mois d’octobre non-seulement à parcourir le Mid-Lothian, mais à visiter la plupart des villes importantes d’Ecosse. Chaque journée fut marquée par une ovation nouvelle : des multitudes l’attendaient dan-chaque gare pour l’acclamer au passage du train spécial qui l’emmenait ; et s’il fallait s’arrêter quelques instans pour prendre de l’eau ou changer de machine, force lui était de faire de son wagon une tribune et de haranguer ces auditoires improvisés. Deux et trois discours par jour n’épuisaient m ses forces ni sa verve. Une ardente jalousie de lord Beaconsfield, le ressentiment de sa défaite de 1874, l’espoir de ressaisir le pouvoir, s’accroissant avec chaque succès oratoire et avec chaque ovation, donnaient à ce vieillard de soixante-douze ans une vigueur véritablement extraordinaire et presque surhumaine. Les discours que M. Gladstone