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ministre d’obéir à une préoccupation exclusivement personnelle et d’imposer à ses amis les risques et les dépenses d’une élection pour assurer d’une façon plus certaine la prolongation d’un pouvoir qu’aucun danger ne semblait menacer. Lord Beaconsfield était loin de soupçonner qu’une popularité aussi légitime que la sienne, et fondée sur d’aussi grands résultats, serait d’aussi courte durée, et il croyait avoir encore une tâche à accomplir. Plus la majorité dont il disposait était compacte et fidèle, plus elle se montrait animée par le succès, et plus lui-même se croyait tenu de mettre à profit cette force dans l’intérêt de son parti. Il voulait résoudre cette question irlandaise qui avait été pour tous les gouvernemens une source d’embarras sans cesse renaissans; il se flattait d’y parvenir en constituant en Irlande l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur sur les bases les plus larges et les plus libérales, et en donnant ainsi satisfaction au seul grief légitime que les Irlandais raisonnables pussent encore faire valoir. Des réformes importantes et utiles étaient encore à accomplir en Angleterre: la réorganisation des tribunaux inférieurs, la codification de la procédure et des lois criminelles, la réorganisation administrative des comtés; des projets de loi étaient tout prêts. Ces sages et prévoyantes résolutions ne purent être exécutées, hormis en ce qui concerne l’Irlande : les discussions passionnées, incessamment soulevées par l’opposition, au sujet de l’Afghanistan, de la guerre contre les Zoulous et de l’exécution du traité de Berlin absorbèrent le temps de la chambre des communes, et c’est à peine si un petit nombre des mesures préparées par le gouvernement ont pu franchir avec succès les longues étapes de la procédure parlementaire.

Si l’on s’explique sans peine que le ministère n’ait point songé à une dissolution après le congrès de Berlin, on comprend moins aisément pourquoi il n’a pas fait les élections dans l’automne de 1879, ainsi que tout le monde s’y attendait. Il est probable que lord Beaconsfield aura craint d’ajouter aux souffrances de l’agriculture en apportant une interruption aux travaux des champs déjà fort retardés par l’intempérie de l’été, et qu’il aura redouté l’influence que la perspective d’une famine pouvait exercer sur les électeurs irlandais. Il se flattait peut-être que le temps, en amenant une heureuse solution dans l’Afrique méridionale et une pacification de l’Afghanistan, enlèverait aux adversaires de sa politique leurs derniers argumens; mais, si cette conjecture est exacte, pourquoi n’a-t-il pas persévéré jusqu’au bout dans cette pensée d’ajournement?

Les partisans du gouvernement se trompèrent complètement sur ses intentions. En voyant l’automne s’écouler sans qu’aucun membre du ministère parût se préoccuper sérieusement de la campagne que les orateurs de l’opposition avaient commencée et poursuivaient