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où il se débat ; le 29 mars, un petit référendaire de la chancellerie aulique, gagné depuis longtemps à son service, laisse négligemment tomber ces mots dans une conversation confidentielle : « Kochanski ne serait-il pas sous la protection de l’empereur, quelque part, dans le Tyrol ? » — Le fil est ressaisi ; c’est plaisir de voir, dans la correspondance quotidienne de Vessélovski avec le tsar, comment l’habile agent le renoue, le développe ; comment les soupçons se changent en certitudes ; comment les certitudes se complètent et forment un corps.

Fort du renseignement qu’il a obtenu, Vessélovski court chez le chancelier et chez le prince Eugène : « — Kochanski est au pouvoir de l’empereur, dans le Tyrol… » L’ambassadeur plaide le faux pour savoir le vrai ; il se plaint amèrement du mauvais procédé dont on use vis-à-vis de son maître. Les deux ministres répondent avec étonnement qu’ils ne savent rien et qu’ils consulteront l’empereur, seul instruit sans doute de cette grave affaire. Quelques jours après, on les retrouve désolés : l’empereur ne sait rien. À ce moment, le Moscovite reçoit du renfort. Pierre lui envoie d’Amsterdam un capitaine de ses gardes, Roumiantzof, accompagné de trois officiers déterminés ; ces émissaires ont l’ordre formel et la ferme volonté de s’emparer du fugitif, s’ils le découvrent, sur les terres mêmes de l’empereur, et de vive force s’il le faut. L’ambassadeur reçoit en même temps des instructions menaçantes, dont il n’était pas besoin pour stimuler son zèle ; il a charge de remettre à Charles VI une lettre autographe du tsar, conçue en termes hautains et exigeant l’extradition immédiate de son fils. Ne jugeant pas le moment venu, Vessélovski garda la lettre en poche, jusqu’à plus ample informé ; il dépêcha immédiatement Roumiantzof en reconnaissance dans le Tyrol, sous un faux nom. Le capitaine fouille les montagnes et reparaît à Vienne le 22 avril ; il a découvert Ehrenberg ; les braves gens du pays se doutent de quelque chose ; suivant leurs dires, un grand seigneur hongrois ou polonais doit être détenu dans la prison d’état. Vessélovski n’hésite plus ; il demande une audience à l’empereur, lui remet la lettre du tsar et laisse entendre qu’il sait tout, qu’on ne peut continuer plus longtemps à se jouer de son maître, à se dérober aux justes demandes d’un père. Charles répond en souriant que ses ministres l’ont mal informé, qu’il va conférer avec eux et éclaircir ce mystère. Cependant l’ambassadeur renvoie Roumiantzof en Tyrol avec les passeports d’un officier suédois ; lui et ses compagnons doivent s’établir à Reutte, au pied du burg d’Ehrenberg, guetter le prisonnier et tenter à l’occasion un coup de main sur sa personne. Roumiantzof croit la chose possible, la garnison de la forteresse ne se composant que d’une