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village de Reutte un étroit défilé, l’Ehrenberg Klause ; sur la montagne isolée, couverte de pins, qui commande cette passe, ils peuvent encore apercevoir des ruines de vaillante mine ; c’est le burg d’Ehrenberg, jadis l’une des plus fortes places du Tyrol, vieil invalide des guerres allemandes, tout mutilé de siècles et de boulets, démantelé en 1800 par les soldats de Masséna. C’était ce donjon solitaire que Charles VI avait choisi pour prison à son beau-frère. Tandis qu’Alexis se reposait à Milbach, sa dernière étape, le secrétaire d’état Kühl, chargé de l’accompagner, prit les devans et vint remettre au général commandant la forteresse des instructions détaillées. Cet officier avait ordre de recevoir et de garder à Ehrenberg, dans le plus profond secret, un haut prisonnier d’état dont le nom ne lui était pas confié. Pour éviter toute indiscrétion, on ne devait pas changer la petite garnison ni permettre aux soldats de s’éloigner du château durant tout le temps qu’y passerait le captif. Les fenêtres de sa chambre devaient être armées de barreaux de fer, précaution bien superflue, vu l’impossibilité de fuir de ce nid d’aigle sans se rompre le cou. Le général devait traiter son prisonnier avec respect, veiller à ce que sa table fût convenablement servie aux frais de l’empereur, qui assignait 300 florins par mois pour son entretien. En cas de maladie grave, un médecin ne pouvait être admis qu’en présence du commandant ; les lettres écrites ou reçues par l’inconnu devaient être transmises directement à la chancellerie impériale ; nul étranger ne devait, sous les peines les plus sévères, approcher des portes ou interroger les sentinelles. Le général répondrait sur sa tête de l’hôte mystérieux dont l’empereur lui confiait la garde. Comme on voit, les instructions de Charles VI ne différaient guère de celles données par Louis XIV à Saint-Mars, quand le gouverneur de Pignerol reçut le Masque de fer. — Ces ordres transmis, Kühl revint chercher ses compagnons de voyage et les ramena à Ehrenberg : les portes du cachot d’empire se refermèrent derrière Alexis le 7 décembre au matin.

Alors il respira librement, le pauvre inquiet. Ses lettres au comte Schœnborn témoignent de sa reconnaissance et de sa joie d’être si bien caché. Il se plaint seulement des difficultés de la vie matérielle dans cette solitude et persiste à réclamer un prêtre de son rite ; nous savons d’ailleurs qu’il avait pris soin de se pourvoir de consolations d’un autre ordre. Il ne semble pas qu’à ce moment l’officier chargé de le surveiller ait soupçonné le sexe et la véritable qualité du jeune page d’Alexis. Schœnborn, en répondant au prisonnier, lui mande sous une forme détournée les nouvelles qui peuvent l’intéresser : « J’annoncerai au noble comte, en fait de nouvelles, qu’on commence à raconter de par le monde que