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d’un sol rocailleux. Ces maquis devraient s’appeler la montagne des sangliers.

J’étais revenu à Choyqué-Mahuida par une autre route en décrivant une courbe immense. Je connaissais tout le pourtour de ces vastes plateaux édifiés par les mollusques et les eaux pour exercer un jour l’esprit d’entreprise des hommes civilisés. Quant à la partie centrale, j’avais eu dans des excursions antérieures l’occasion d’y pousser des reconnaissances; mais cette fois il fallait lui arracher ses derniers secrets. Il y avait surtout une vallée qui coupait en écharpe cette région pauvre en eau et qu’il était indispensable de connaître. Nous résolûmes avec le commandement Garcia de revenir à Puan par ce chemin. C’était un détour d’une trentaine de lieues; on n’en était pas, après une pareille traite, à 30 lieues de plus ou de moins. D’ailleurs des renseignemens qui paraissaient véridiques nous faisaient espérer de rencontrer des toldos. Nous les trouvâmes bien, mais ils étaient abandonnés; c’étaient ceux de Cañumil. Catriel, en l’engluant dans ses intrigues, n’avait fait qu’avancer pour lui d’un mois une catastrophe inévitable.

Il ne faudrait pas croire que les plateaux calcaires dont il a été souvent question, et qu’il est temps de décrire, présentent un aspect de désolation. La couche de terre végétale qui les recouvre est peu épaisse, mais formée d’un humus très riche. Outre les résidus des plantes qui s’y sont séchées et désagrégées en paix depuis des siècles, il contient un élément qui fait trop défaut aux plaines argileuses de Buenos-Ayres, la chaux. Malgré le substratum de marne sur lequel elles reposent, les terres des environs de la capitale sont pauvres en sels calcaires ; ici au contraire ils empreignent tout. On le reconnaît bien à l’allure des plantes et surtout, près de Bahia-Blanca par exemple, aux qualités des animaux d’élevage. Ils sont plus vigoureux, et leur chair est plus succulente. Dans le nord de la province, le vieux proverbe aragonais : « En Andalousie, la viande est de l’herbe, l’herbe de l’eau, » vient naturellement à la pensée. Il faut aborder des terrains plus anciens pour trouver de vrais animaux de boucherie. Aujourd’hui que l’on s’occupe de l’importation en France des viandes de la Plata et que la conservation par le froid est essayée en grand, c’est une considération dont les organisateurs de cette industrie doivent sérieusement tenir compte. Les plateaux élevés que nous traversions n’ont qu’un défaut, la difficulté d’y procurer à de grands troupeaux la quantité d’eau dont ils ont besoin. Comme les estancieros ont peu de goût pour ce qui augmente les frais d’installation et qu’ils aiment les besognes toutes faites, il est probable que c’est d’abord sur les vallées qu’ils se rabattront.

Les lacs y sont assez souvent salpêtres ; mais la pioche a vite fait