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à elle. Là-dessus, demandons-nous que la maison de Molière se transforme en maison d’école ? l’administrateur de la Comédie-Française en professeur ? et Mlle Sarah Bernhardt en répétiteur de morale ? Pas le moins du monde. Il n’appartient de formuler de tels vœux, et de caresser de telles espérances, qu’à des sous-secrétaires d’état. Mais enfin nous ne sortons pas de la Comédie-Française tout à fait dans les mêmes dispositions d’esprit que du théâtre des Bouffes ou des Folies-Dramatiques, et le Cid, si je ne me trompe, ou Britannicus, laissent une autre trace dans la mémoire du spectateur que le Grand Casimir ou la Fille du tambour-major. L’art du comédien n’est pas un sacerdoce, et la Comédie-Française n’a pas de mission : mais elle a des devoirs.

Je voudrais donc, depuis dix ans, que profitant de la faveur publique on eût remis sur pied tout le grand répertoire. On le pouvait, dans de meilleures conditions peut-être qu’on ne l’avait jamais pu. Comptez en effet qu’il ne s’agit en tout que d’une trentaine d’œuvres tout au plus, et que par conséquent la mémoire moyenne d’une troupe organisée convenablement doit pouvoir y suffire. Remarquez encore qu’il n’en va pas ici comme au grand Opéra, par exemple, — que les machines, décors et figuration n’y jouent qu’un rôle secondaire, presque accessoire — et qu’il y suffit, selon l’indication légendaire, d’une façon de trône, dans un palais à volonté. La moindre opérette coûte plus cher à monter. Considérez enfin que nous n’avons pas besoin a d’étoiles » et qu’il ne faut pour obtenir du grand répertoire une très honorable interprétation que constituer des ensembles. Il n’y a pas de petits rôles dans le grand répertoire. Même dans le rôle de Stratonice on peut se montrer grande comédienne, et grand comédien jusque dans le rôle d’Arbate. Les « étoiles » brilleraient ici d’un trop vif éclat pour les « pauvres vers de terre, » que nous sommes. Il n’est pas question de faire preuve de « virtuosité » mais uniquement de « fidélité. » Racine ou Corneille n’ont que faire de comédiens qui créent, — c’est-à-dire qui complètent, qui achèvent, qui remplissent enfin de leur propre personnalité des rôles sommairement indiqués par le poète : ils ne demandent que des comédiens qui interprètent, — c’est-à-dire qui n’aillent ni au-delà ni ne restent en deçà du texte, qui rendent le texte uniquement et qui le rendent tout entier. Le grand répertoire n’a pas besoin de secours extérieur : il est capable de se suffire à lui-même.

C’est peut-être ce que l’on oublie quand nous voyons que l’on donne au décor, et surtout au costume, non pas assurément trop de soins, mais des soins trop minutieux et d’une recherche archéologique trop prétentieuse. J’ai vu Mithridate et Thésée porter des casques bien étranges, des casques qui pouvaient, qui devaient être certainement copiés d’après nature, ou du moins authentiqués par quelque bas-relief ou quelque pierre gravée : cela ne faisait pas qu’ils ne fussent étranges. Dans le