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faire encore mieux avec les Persans? On répond que, le schah étant sous l’influence russe, l’Angleterre ne pourrait pas compter sur un concours sincère de la Perse. Mais le concours afghan vous a-t-il été plus sincère? Et cette influence russe que vous croyez si dominante à Téhéran a-t-elle été moins efficace à Caboul? Depuis un demi-siècle que cette influence si redoutable de la Russie s’exerce sur la Perse, le gouvernement du schah n’a pas manqué un seul instant de garder une attitude hautement indépendante et parfaitement correcte vis-à-vis de tous ses voisins. Et cependant dans cet Afghanistan que l’Angleterre avait créé contre nous et dans la seule intention de nous soustraire à l’influence russe, il a suffi du souffle d’une mission passagère pour faire crouler en un instant tout l’échafaudage de l’indépendance afghane qu’on voulait opposer à cette influence étrangère.

Avouons, mon cher sir Henry, que tous les résultats de cette malheureuse politique par rapport à Hérat ont été diamétralement opposés au but qu’elle poursuivait. En voulant prévenir une entente problématique entre la Russie et la Perse, vous avez tout fait pour aplanir les difficultés naturelles qui s’opposaient à une alliance entre ces deux pays. Si Hérat avait été laissée à la Perse, le peuple et le gouvernement persan, complètement satisfaits du côté de l’Afghanistan, n’auraient eu aucun grief contre l’Angleterre et, par l’instinct de la conservation, ils auraient tendu toujours et nécessairement vers l’alliance anglaise. Maîtresse d’Hérat, la Perse se trouverait engagée par tous ses intérêts à défendre cette ville de tous ses moyens et au même titre que Téhéran et Ispahan. Et la Russie, pour arriver à Hérat, aurait eu d’abord à vaincre la résistance armée du schah, puis à lutter longtemps contre les intérêts et les sentimens unanimes de la nation persane.

La politique anglaise a merveilleusement simplifié cette tâche de la Russie.

En arrachant Hérat à la Perse pour la donner aux aventuriers afghans, cette politique a détruit d’un seul coup toutes les résistances que la Russie pouvait rencontrer du côté de la Perse. Grâce à cette néfaste politique, au lieu d’un allié forcé, souvent plus dangereux qu’un ennemi déclaré, la Russie trouvera dans la Perse un allié mécontent de vous ; que pouvait-elle désirer de plus?

Cependant ce n’est pas là encore tout le service que vous avez rendu à votre heureuse rivale; après avoir épuisé et presque anéanti la Perse, vous avez vous-même amené les Russes dans les pays des Turcomans, vous leur avez livré toutes ces tribus guerrières, vous leur avez ouvert la route de Merv, vous leur avez rendu la conquête du Khorassan inévitable. Est-il besoin de vous en rappeler les preuves ?

Ces contrées turcomanes, ces tribus guerrières et ce Merv qui les domine, à qui appartenaient-ils ? A la Perse seule. Personne ne l’avait