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d’attaquer par la poudre ces deux blocs, fit faire des sondages dans l’enceinte; les fouilles n’amenèrent aucun résultat. En l’absence des données précises, les voyageurs peuvent choisir entre les différentes opinions qui font de ce monument soit le tombeau de Sardanapale, soit celui de Julien, soit un grand mausolée de l’époque grecque. Suivant une légende du pays, ce monument serait un témoignage de la vengeance divine. C’était autrefois un palais ou sérail, « situé sur une éminence dominant la ville. Le prince qui habitait ce palais avec sa fille s’étant attiré la colère du grand Prophète, celui-ci pour les punir, lança leur sérail d’un coup de pied à l’endroit où il se trouve aujourd’hui, et où il tomba sens dessus dessous pour ensevelir les deux personnages. »

Un peu en dehors de la ville, un petit fleuve, divisé en deux bras, coule entre des rives verdoyantes, plantées d’arbres fruitiers. Il fait tourner les larges roues des norias qui arrosent les jardins voisins, et dont le grincement se fait entendre de loin, modulant une sorte de cadence rythmée; c’est le Tersous-Ischaï, l’ancien Cydnus. On éprouve une sorte de déception en présence de ce large ruisseau, qui répond si peu aux descriptions du Cydnus laissées par les auteurs anciens. Il est hors de doute que le cours du fleuve a changé de direction, et que sa division en plusieurs branches a diminué le volume des eaux. Les géographes anciens montrent le Cydnus traversant la ville, et roulant des eaux impétueuses, tandis que « les habitans de Tarse, livrés à une oisiveté voluptueuse, passaient leur vie comme des oiseaux aquatiques, assis sur les rives du Cydnus. » Pierre Belon avait vu le fleuve coulant dans son ancien lit. « Vray est que le long des arées du fleuve Cydnus, qui passe par le milieu de la ville, il y croist des figuiers. » Aujourd’hui le bras qui coule près de la porte de Mersina est fort appauvri, et celui qui alimente les conduits d’irrigation des jardins ne débite qu’un médiocre volume d’eau. L’eau n’est glacée qu’à l’époque de la fonte des neiges. L’amiral Beaufort raconte qu’il s’y baigna impunément au mois de juin avec tout son équipage, sans avoir ressenti les moindres atteintes du mal qui emporta Frédéric Barberousse ; et le fleuve n’est aujourd’hui qu’un paisible ruisseau, arrosant les melons d’eau et les arbres fruitiers des jardins que cultivent les Turcs de Tarsous.

Nous passons les dernières heures de cette excursion à Tarsous, terme extrême de notre voyage, chez le drogman de France, Naoum, qui doit sa grande situation dans le pays aussi bien à son intelligence qu’à son titre officiel. C’est un beau vieillard, à figure ouverte, portant avec dignité un riche costume syrien. Il nous apprend que les dernières nouvelles venues de Constantinople sont peu rassurantes. Les chrétiens de Mersina adressent aux consuls des