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expédiées à Paris. M. Langlois crut avoir découvert une nécropole analogue à celles de l’Etrurie et de la Cyrénaïque. Des travaux plus récens[1] permettent de croire que cette butte, sorte de Monte-Testaccio, a été formée par les débris accumulés des poteries et des figurines mal venues à la cuisson, que les potiers de Tarse jetaient au même endroit. Il y a peu de statuettes entières; mais les fragmens n’en sont pas moins précieux pour l’étude d’un art local qui avait été poussé fort loin. Tarse, ville lettrée, pénétrée de bonne heure par les influences helléniques, avait ses traditions d’art en même temps qu’elle était célèbre pour sa haute culture littéraire. Les céramiques du Gueuslu-Kalah révèlent un style particulier, moins fin à coup sûr que celui des céramistes d’Athènes et de la Grèce propre; mais l’école de Tarse a désormais sa place marquée dans une histoire de la plastique hellénique. Au point de vue de l’étude des cultes locaux, et par les renseignemens qu’elles fournissent à l’archéologie, ces figurines ont une grande valeur. Les représentations des dieux, où l’on observe une singulière confusion d’attributs, montrent à quel point la religion grecque avait subi dans ces régions l’influence toujours puissante des anciens cultes asiatiques. Le polythéisme grec y revêtait des formes multiples, souvent étranges, où dominait le souvenir des divinités bachiques et solaires adorées par les premières populations indigènes. L’histoire des cultes n’a de prix que si elle analyse dans ses nuances les plus fuyantes ces croyances religieuses si complexes, et si elle fait la part des élémens divers qui leur donnent leur physionomie originale.

Aujourd’hui, les fouilles ne sont plus possibles au Gueuslu-Kalah. Les découvertes faites par les explorateurs français et anglais avaient éveillé l’attention des marchands d’antiquités. Les gens du pays fouillaient le monticule à la dérobée et vendaient à des Grecs de Smyrne le produit de leurs recherches. L’autorité turque s’en est émue, et, sur un ordre supérieur, des baraquemens pour les soldats ont été établis au Gueuslu-Kalah ; un bataillon de nizams occupe l’emplacement des fouilles.

Non loin du monticule, dans un jardin planté de figuiers, s’élève un curieux monument qui est resté pour les archéologues une véritable énigme; c’est le Dunuk-Tasch (la pierre renversée). Dans son état actuel, il se compose d’une enceinte en forme de parallélogramme, dont les murs épais sont construits en poudingue. A l’intérieur, et à chaque extrémité, deux cubes en maçonnerie se font face. En 1836, le consul de France à Tarsous, M. Gillet, après avoir essayé vainement

  1. Voir l’article de M. Henzey dans la Gazette des beaux-arts : les Fragmens de Tarse au musée du Louvre, etc. Voir aussi la belle publication entreprise par M. M. Heuzey, les Figurines antiques de terre cuite du musée du Louvre.