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au voyageur. Quand Josaphat Barbaro visita « Seleucha, » en 1471[1], il décrivit avec soin ce château, où était rassemblé un armement considérable; le voyageur vénitien admire les murailles et les tours pleines, les casemates creusées dans le roc et remplies de munitions; surtout l’enceinte extérieure dont les portes de fer, hautes de 15 pieds et larges de 7, sont travaillées « non moins que si elles étaient d’argent. » Les sarcophages de la nécropole byzantine, que le Vénitien signale d’un mot, font aujourd’hui pour l’antiquaire le principal intérêt des ruines de Séleucie. Par leur variété, par l’abondance des textes épigraphiques, les sépultures chrétiennes de Sélefkeh offrent un champ d’études très vaste, et qui mérite une exploration attentive. Sur l’un des points de la nécropole, dans la partie la plus rapprochée de la ville moderne, d’humbles sépultures ont été ménagées dans les anciennes carrières et affectent simplement la forme de chambres à trois lits; à mesure qu’on s’avance vers le kastro, on arrive dans un véritable champ des morts. Des sarcophages taillés dans le roc vif, des édicules ornés de cartouches portant des inscriptions s’élèvent de toutes parts. Quelquefois, au-dessus de l’entrée qui donne accès dans une chambre funéraire, la pierre, naïvement travaillée par des mains inhabiles, offre la représentation d’un corps étendu. C’est déjà l’idée qui sera chère aux « ymagiers » de notre moyen âge français, et aux sculpteurs de la renaissance, lorsque l’image du mort couché et endormi, attendant le réveil suprême, prendra place sur les monumens funéraires.

La ville moderne de Sélefkeh, grâce à sa situation près du littoral, paraît être en voie de progrès. Des maisons s’élèvent, au détriment des ruines antiques, et un beau pont, construit par des ingénieurs grecs de Smyrne, fait communiquer la ville avec la rive gauche du Geuk-Sou. Des Grecs y viennent chercher fortune; l’un d’eux, qui a combattu sous Karaïskakis pendant la guerre de l’indépendance, nous conte qu’il est à Sélefkeh depuis vingt ans. Son unique regret est d’avoir laissé sa femme en Grèce, mais il lui écrit toutes les fois qu’il en peut trouver L’occasion. « Et de quand date la dernière lettre? — De dix ans. »


Mersina, 8 juillet.

De Sélefkeh à Mersina, la côte offre une suite presque ininterrompue de villes ruinées, qui ont été brièvement étudiées par M. Victor

  1. Viaggi fatti da Vinetia, alla Tana, in Persia, in India, et in Costantinopoli, etc., pair Josaphat Barbaro. In Vinegia, 1542, p. 27 du Viaggio in Persia.