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puis le pacha, gagné par les Russes, empocha l’argent des deux côtés, et revint à Constantinople quand le projet fut oublié.

Kharadran n’est qu’un hameau de cinq ou six maisons. On n’y trouve plus aucune trace de l’antique Charadrus, mentionné par Strabon. Il est probable que la ville ne comportait guère qu’un port et des comptoirs, protégés par une forteresse. Tel était le caractère d’un grand nombre de villes ciliciennes; Strabon, en parlant de Séleucie, observe que la cité était très peuplée et différait en cela des autres villes de la Cilicie. De Kharadran à Anemour, la côte est déserte. Si on la quitte pour s’enfoncer un peu dans la montagne, on ne rencontre que de misérables huttes, habitées par des campagnards ciliciens. Ce ne sont guère que des installations d’été, établies auprès d’enclos à battre le blé où les paysans promènent de larges planches armées de pointes en silex; cette méthode primitive de battre le blé s’est conservée dans presque toute l’Asie-Mineure. Le type des habitans change à mesure que l’on s’avance dans la Cilicie. Au lieu du front fuyant, des mâchoires saillantes, du visage allongé que l’on observe dans la Phrygie et la Pamphylie, les montagnards ciliciens ont le profil droit, le front bombé, le menton carré et fort, le galbe lourd et la démarche pesante. La coiffure est un simple bonnet blanc, sans fez, et ils portent pour tout costume une tunique et un pantalon de toile blanche, qui remplacent la longue robe de cotonnade rayée des paysans turcs de l’intérieur.

Anemour se compose de plusieurs villages, Orta-Keuï, Tchü-Rak, etc., qui s’échelonnent sur les pentes les plus basses du Gutché-Dagh, au point où la côte d’Asie est le plus rapprochée de l’île de Chypre. A Tchü-Rak, on trouve environ soixante-dix familles grecques et une église orthodoxe. Le village est joli, d’aspect riant, égayé par des groupes d’ormeaux où nichent des cigognes. Toutes les terrasses sont surmontées de petits kiosques ouverts de tous les côtés, qui servent aux Turcs de chambres à coucher d’été. Nous visitons les ruines de l’ancien Anemurium qui sont de l’époque byzantine. Surprise en pleine prospérité par la conquête ottomane, la ville abandonnée s’est ruinée peu à peu; les murailles du kastro, posé comme celui d’Alaya sur un promontoire élevé, enserrent des groupes de maisons envahies par les mousses et les pariétaires ; Quelques-unes se sont conservées presque intactes, et présentent l’aspect désolé des ruines récentes et vulgaires, que le temps n’a pas consacrées. En dehors de la ville, de curieux édifices offrent à l’archéologue d’intéressans sujets d’étude. Il faut sans doute reconnaître des tombeaux dans ces constructions qui à l’extérieur ont toute l’apparence d’une maison d’habitation, et à l’intérieur sont