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hellénique ; une des portes, construite en énormes pierres massives, et surmontée d’un linteau monolithe, rappelle, avec un appareil plus soigné et des montans moins évasés, la porte des Lions de Mycènes. Au temps des Séleucides, la forteresse était le principal repaire des pirates ciliciens qui écumaient la mer, et faisaient des razzias d’esclaves syriens pour lesquels le marché de Délos leur offrait un débouché commode. A voir ce véritable « nid de corbeaux », on comprend l’immunité dont les pirates jouirent jusqu’au jour où la campagne de Pompée les eut réduits et vaincus. Le général romain rasa le château de Koracésion bâti par le pirate Diodote Tryphon et rendit la sécurité à la navigation marchande.

Depuis la fin de la domination des Seldjoukides, la forteresse est abandonnée ; mais ces ruines imposantes sont égayées par les pittoresques masures qui se sont élevées au milieu d’elles, et par les scènes variées de la vie en plein air. Comme nous quittions le kastro, un groupe de jeunes filles puisait de l’eau à une fontaine dans de grandes jarres d’argile ; simplement coiffées de fez ornés de sequins, et sans voiles, elles offraient tous les traits du type arabe, l’ovale allongé, les yeux un peu obliques, une grande élégance d’allures ; en soutenant de leurs bras nus les vases posés sur leur tête, elles prenaient des attitudes d’une rare noblesse, qui rappelaient ce que l’art antique a produit de plus fin et de plus achevé.

Le lendemain, apprêts de départ. Le moutésarif, que nous avons vu la veille au konak, entouré de son medjili ou conseil, nous a promis un zaptié d’escorte. A l’heure dite arrive un capitaine qui s’installe près de nous, inspecte nos armes et nos bagages, et allume un narghilé. Après une longue visite silencieuse, il nous dit qu’il est impossible de trouver des zaptiés ; en revanche, il nous propose comme guide son oncle, vieux Turc à mine débonnaire, coiffé d’un énorme turban vert et armé d’une ombrelle. « Les effendis lui donneront un bon bakchich, car la route est fatigante. »


Khilindri, 21 juin.

« Nous feismes bon feu toute la nuict, et partismes avant jour, et cheminasmes à l’obscur en la campagne ; et lorsque le jour fût venu, retournasmes au rivage de la mer... Nous veoyons aussi le mont Taurus, qui apparaissoit de bien loing devant nous, estendu en long, qui desjà coinmençoit à estre couvert de neige par le coupet[1]. » Rien n’a changé depuis Pierre Belon, pour le voyageur

  1. Les Observations de plusieurs singularitez et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, etc, par Pierre Belon, du Mans, 1588.