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flanc du rocher comme sur un plan. Les petites maisons de bois grimpent le long de la pente escarpée, séparées par des ruelles parallèles ; chaque rangée de toits sert de terrasses aux maisons de la file supérieure, et la ville s’étage ainsi, comme un troupeau de chèvres accrochées aux aspérités d’un roc. La partie de la muraille voisine du port est flanquée de deux tours appelées l’une Tersana, l’autre Khizil-Koulê (la tour rouge) : cette dernière, de forme octogonale, et bâtie en briques rouges, commande l’entrée de la baie aujourd’hui presque déserte. Le mouillage est difficile ; des rochers à fleur d’eau imposent aux mariniers de grandes précautions ; aussi le port n’est-il guère fréquenté que par les caïques qui viennent y charger le bois apporté de la montagne, comme au temps où les pentes de l’Imbarus fournissaient aux chantiers de l’Egypte les matériaux de construction pour les flottes royales.

La population de la ville compte deux mille habitans, dont cinq cents Grecs seulement. Ici les Grecs sont de vrais raïas et tremblent devant les Turcs. L’indice le plus sûr de la prospérité d’une communauté hellénique en Turquie, c’est l’école; à Alaya, elle est misérable. Quelques enfans, à la mine effarouchée, apprennent le grec à l’aide de livres imprimés en caractères turcs ; le didaskal, jeune Grec d’Adalia, est découragé de son exil ; il nous confesse qu’il n’a pas encore osé monter au kastro, par peur des Turcs, a qui l’en chasseraient à coups de pierres. » Fondée ou non, cette terreur est commune à tous les Grecs d’Alaya, et il nous faut prendre un guide turc pour visiter cette partie de la ville.

L’ascension du kastro est rude; mais on est largement récompensé de sa peine par un panorama d’une véritable grandeur. Quand on a franchi une série de poternes armées de herses et gravi l’escalier à demi écroulé qui serpente le long du roc, on embrasse d’un coup d’œil la haute chaîne neigeuse de l’Imbarus, qui ferme l’horizon ; aux teintes violettes des montagnes, au bleu doux et profond de la mer, s’opposent vigoureusement les tons roux et chauds des vieilles murailles, et la masse noire des maisons d’Alaya échelonnées jusqu’au rivage. Le kastro, aujourd’hui démantelé, sert d’asile à une douzaine de familles turques et arabes établies sur la plate-forme. Les maisons sont enfouies sous le feuillage d’énormes figuiers, au milieu desquels une mosquée en ruines montre ses coupoles crevassées, et son minaret décapité. Un peu plus loin, une église byzantine à demi détruite offre encore sur ses murs martelés par les balles des traces de peintures : on reconnaît sur les pendentifs les quatre évangélistes. Le kalé marque l’emplacement occupé par l’acropole de la ville antique de Koracésion ; on y retrouve des fragmens de murailles cyclopéennes et des murs de l’époque