Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/902

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vêtemens sont des ex-voto déposés là par des malades qui implorent l’intercession du saint derviche. Sauf quelques vieillards en longue robe et en turban accroupis sur des bancs, les rues sont désertes, et aucun bruit n’en trouble le silence, si ce n’est, près de quelque mosquée, la voix monotone et nasillarde d’un mollah qui explique le Coran à ses élèves. Rien n’éveille mieux pour un Européen l’idée de la vieille Turquie, fermée à toute idée étrangère à ses traditions et endormie dans sa nonchalance.


Alaya, 9 juin.

Nous quittons Adalia dans un caïque arabe, pour gagner par mer la côte de Cilicie, tandis que nos chevaux prennent la route de terre. Le bateau longe la côte de Pamphylie, basse et dénudée, formant une ligne continue, à peine rompue çà et là par des groupes de palmiers. Vers Eski-Adalia, la côte se relève insensiblement, jusqu’au cap Kara-Bouroun, où aboutissent les premiers contreforts de la chaîne de l’Imbarus. Il est presque nuit quand nous doublons les énormes rochers noirs, posés obliquement, qui ont fait donner au promontoire le nom de Cap Noir. Ils s’élèvent fièrement au-dessus d’une mer unie, blanchâtre, qui rappelle la brève description de d’Aubigné :

La lame de la mer était comme du lait,
Les nids des alcyons y voguaient à souhait.


Le lendemain comme la veille, la mer est d’un calme parfait; il faut se résigner à ces longues heures passées à l’ombre de la voile, pendant lesquelles rien ne vient occuper l’esprit. Tandis que l’œil suit les teintes changeantes de la mer et la silhouette des montagnes, la pensée est bercée dans une sorte de rêverie vague qui fait oublier la lenteur du trajet; le souvenir de nuances ondoyantes et variées, un grand sentiment de monotonie, voilà tout ce qui reste de ces heures oisives et vides. Enfin le caïque aborde au petit port d’Alaya, sur la côte de la Cilicie-Trachée.

Rien de plus étrange que le premier aspect de cette ville, posée sur la pente raide d’un promontoire rocheux, se rattachant à la terre ferme par une étroite langue de terrain. Du côté opposé à la ville, le roc est taillé à pic et plonge droit dans la mer; l’étroit plateau qui court au sommet et forme comme l’arête de ces deux coupures est occupé par la forteresse ou kalé. Un mur d’enceinte, crénelé, enserre toute la ville, qui, vue du port, se dessine sur le