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étudier, voir ses monumens sur lesquels ils nous interrogent avec une curiosité naïve.

Le chef officiel de la communauté grecque est l’archevêque. Nous recevons sa visite : c’est un beau vieillard, aux traits réguliers, portant avec une dignité majestueuse le costume ecclésiastique. Mais, au cours de la causerie, cette dignité s’éteint et fait place à une bonhomie familière qu’on retrouve souvent chez les membres du clergé grec. A sa sortie du nosokomeion, l’archevêque est salué avec respect par les Grecs, qui se prosternent sur son passage ; les femmes lui présentent leurs enfans à bénir; les Turcs eux-mêmes se lèvent avec déférence. Ces hommages sont plus qu’un simple salut à la robe et ont un sens plus profond que les marques de respect données aux prêtres dans les villes d’Italie. L’archevêque est en effet le véritable patron des Grecs et comme leur defensor politique. Pour les raïas orthodoxes, la religion est une sorte de nationalité; c’est en elle que se réfugient toutes les aspirations et les espérances des races soumises ; elle est le lien qui les rattache aux Hellènes d’Europe; aussi, en voyant les Grecs d’Adalia saluer avec vénération leur archevêque, on se prend à penser que ces hommages s’adressent au seul représentant officiel de la communauté grecque auprès d’une autorité sans contrôle et toute-puissante.

Le lendemain nous visitons en détail le quartier grec. Dans plusieurs maisons, on nous montre des domestiques nègres qui sont esclaves ; c’est une rareté chez les Grecs; mais, bien que beaucoup de chrétiens d’Adalia aient rendu la liberté à leurs esclaves, plusieurs de ceux-ci l’ont refusée. Il leur suffirait, pour être libres, d’aller au konak invoquer la protection du moutésarif; mais cette indépendance, qui les laisserait sans moyens d’existence (leur maître peut réclamer jusqu’à leurs vêtemens) leur paraît moins séduisante que le servage. Il ont d’ailleurs le plus souvent des maîtres doux et humains, et dans les maisons grecques on les traite comme des domestiques libres attachés à la famille. Depuis les réformes d’Abdul-Medjid, l’esclavage est officiellement supprimé dans l’empire ottoman; mais, s’il n’y a plus de marché public d’esclaves, les Ottomans n’ont pas renoncé à ce genre de trafic, qui se pratique clandestinement à Constantinople, à Top-Hané. Il y a quelques années, à Trébizonde, des Turcs embarquaient à bord d’un bâtiment des Messageries maritimes une cinquantaine de jeunes Russes de Crimée, chrétiennes orthodoxes. Le consul de Russie, informé de leur origine, les réclame et veut s’opposer à leur enlèvement; les Turcs protestent, déclarent qu’elles sont musulmanes et qu’ils ont tous droits sur elles. Interrogées, les jeunes filles font la même réponse; on les comblait de cadeaux, on leur donnait des bijoux, des toilettes,