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déplorable au point de vue de la statique, avait ses conséquences naturelles pour toutes les dispositions de détail.

L’architecte a-t-il pensé que, pour prévenir, pour de longs siècles, une restauration nouvelle, il devait changer des dispositions aussi périlleuses; ou bien, imbu des principes classiques et du respect de la loi des axes et des pendans, a-t-il vu là une disposition barbare née seulement d’une nécessité momentanée? Toujours est-il qu’il a remis les choses dans l’ordre, et, comme il y a une logique absolue en architecture, cette modification de parti-pris amenait mille modifications de détail sur lesquels il est inutile de s’appesantir.

Ceux qui ont encore présente à l’esprit la façade telle qu’elle existait naguère, ou ceux qui possèdent des reproductions de l’état primitif, se rappelleront qu’au-dessous de la grande verrière qui éclaire la chapelle Zen, l’un des Lombardi avait adossé un autel en marbre décoré d’une croix en vert antique, qui découpait son blanc fronton sur le vitrail sombre. Il avait voulu, par une pensée symbolique, rappeler à l’extérieur l’autel intérieur de la chapelle, et protéger ainsi, en leur inspirant le respect, celle place banale et à ciel ouvert, où le gondolier et le cicérone viennent se chauffer au soleil. C’était poétique et charmant; l’architecture a de ces pensées exquises qu’il faut savoir comprendre. Cet édicule tout entier, qui mesurait plus de 30 mètres superficiels, a été supprimé et transporté au seminario patriarcale, près la Sainte; et, comme il en résultait une large place vide, il a fallu la remplir de grandes plaques de marbre vert de Suse, d’un ton violant et qui hurle dans l’ensemble. J’indique rapidement les autres changemens; l’addition de la partie postérieure des griffons sur les colonnes, ramenées à un plan plus avancé, la suppression d’un avant-corps ou caisson entre la porte du baptistère et le trésor; la baie carrée du même baptistère ramenée à la foi me gothique par des meneaux trilobés.

Voilà pour la forme; pour la couleur nous nous trouvons toujours en face de la même situation. Si on reconstruit au lieu de consolider et de conserver, c’en est fait des matériaux précieux (surtout si on a modifié les mesures); et par toutes sortes de raisons déjà exposées, on aura des pâtes de verre de Murano à la place des pierres rares, des mosaïques neuves au lieu des mosaïques primitives, des colonnes raclées et poncées, dont les fûts jurent avec les chapiteaux, de grandes surfaces grises, revêtement vulgaire à veines perpendiculaires, substituées à des marbres précieux du ton le plus riche et le plus harmonieux.

On m’objectera vainement que l’édicule datait des premières années du XVIe siècle et représentait un anachronisme architectural avec les arcs du XIIIe et les feuillages et clochetons du XIVe ; que