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irisée comme les verres de Venise, dont la matière s’était pour ainsi dire volatilisée, au lieu de flotter dans l’air et de se combiner harmonieusement avec le fond, avance maintenant dans le tableau, froide, régulière, pesante; et, comme pour mieux faire sentir le prix de ce qu’on a perdu, sa coupole jumelle, qui n’est point encore restaurée, oppose la délicatesse de coloration qu’elle a gardée à la brutalité de celle qu’on vient de renouveler. Si tout cela est impalpable et vient de l’imagination des hommes; il y a, Dieu merci, en dehors des peintres, tout un monde d’esprits qui, ici bas, se font une joie de ces fêtes des yeux.

Il était nécessaire d’énoncer ces conditions spéciales à Venise avant d’entrer dans le monument parce qu’il faut se placer sur le terrain pratique pour traiter une question où l’art et l’intérêt de l’histoire sont subordonnés à la solidité d’une construction; mais il ne l’est pas moins de faire observer que, lorsqu’on va porter la main sur un monument comme Saint-Marc de Venise, il faut être pénétré de l’importance qui s’attache à la forme, à la couleur, aux dispositions primitives. Chaque pierre est consacrée, et toute modification ou tout sacrifice inutile est un crime contre l’histoire et l’illustration d’un pays. Il faut se rappeler sans cesse qu’ici s’est humilié le terrible Barberousse; la Pisani a harangué ce peuple qui venait de briser ses chaînes et qu’il allait conduire à la victoire contre les Génois : sur ce pavé précieux, qui ondule comme les vagues de la mer, se sont agenouillés les doges depuis Faliero Vitale, au jour de la consécration, il y a huit siècles, jusqu’à Venier au lendemain de Lépante, jusqu’à Mocenigo au retour des Dardanelles et Morosini après le Péloponèse.


III.

Nous allons examiner maintenant l’état actuel du monument et nous verrons dans quelle mesure on a respecté le caractère de l’architecture sous le double aspect de la forme et de la couleur.

Des trois façades que présente la basilique : celle au sud sur la Piazzetta, celle au nord sur San Basso et celle à l’ouest sur la place Saint-Marc : c’est celle au nord, sur San Basso, qui a été reprise la première. Les hommes de notre génération n’ont pu la voir dans son aspect primitif, car les travaux étaient commencés dès 1842; il faut, pour se rendre compte des changemens opérés, se reporter aux monographies du temple et aux représentations connues de l’édifice. Nous n’insisterons point sur cette partie, qu’on a laissée en dehors de la polémique actuelle; les observations que nous pourrions faire se reproduiront d’ailleurs presque identiques pour la façade sud. Voyons cependant ce qui frappe à première vue le spectateur.