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de tous et conservés vous pour en jouir longtemps. Vos amis absens ou présens doivent vous rappeler sans cesse à cette douce idée. Au surplus je ne suis point étonnée de la contenance des deux personnes qui vous accompagnent et que vous me peignés si bien.


On voit souvent, suivant son sort,
L’amour changer de caractère ;
Heureux, un amant s’endort,
Malheureux, il veille pour plaire.


Saint-Lambert, on le voit, tenait dans cette relation la même place que M. d’Angeviller dans la relation de Mme Necker avec Mme de Marchais. C’est ainsi que, dans plusieurs lettres, il s’adresse à Mme Necker pour procurer à Mme d’Houdetot une consultation du célèbre médecin genevois Tronchin, ou bien il lui fait confidence des efforts qu’il tente pour obtenir que M. d’Houdetot ait désormais de meilleurs procédés envers sa femme. De son côté, Mme d’Houdetot ne perd jamais une occasion d’associer M. de Saint-Lambert aux sentimens qu’elle éprouve pour Mme Necker et souvent elle semble les mettre tous deux sur la même ligne dans ses affections :


Nous nous unissons, écrivait-elle à Mme Necker, M. de Saint-Lambert et moi, pour vous aimer. C’est bien en cela qu’il me convient encore. La félicité de ma vie est bien de vous avoir rencontré tous deux et d’être aimée de vous.


Et dans une autre lettre :


Je vous l’avourés et vous l’ay dit dans les commencements de notre liaison, un peu de passion se mêle à mes attachements, mais qui m’en reprochera pour le petit nombre auquel mon cœur s’est livré ? Quand je vous aime tous deux, quand j’aime mon digne amy Saint-Lambert, on peut douter si c’est la vertu qui me fait aimer de tels amis, ou si ce sont eux qui me donnent le goût de la vertu. J’ose le dire dans la confiance d’une ancienne amitié, je n’ay rien aimé, rien goûté même qui ne m’offrit quelqu’un de ses traits. J’espère que vous me connoissés assés pour ne pas attacher l’idée de vanité à cet aveu. Ma charmante amie, ce sont mes titres auprès de vous, permettes moi de les faire valoir pour me croire digne des mots touchants que vous employée pour m’exprimer vos sentiments. Si j’ay jamais goûté un bonheur pur, c’est quand je me suis vue estimée et aimée de ce que j’aime et estime si véritablement moy même.


Femmes d’autrefois, si charmantes et si nobles, même dans vos erreurs, méritez-vous bien ces jugemens rigoureux qu’au nom de notre morale plus ferme, de nos principes plus sévères, nous