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que Mme Geoffrin fut d’abord un peu en défense contre l’enthousiasme dont Mme Necker faisait profession pour elle :


Ma chère et aimable amie, je m’est mon cœur au régime pour avoir le droit d’y mètre le vôtre.

Je n’ay pas voulue répondre sur le champ a vôtre tendre billet pour laisser apaiser les sentimens qu’il avoit réveillé en moi. J’ay eu des enthousiasmes aussi. J’en ay sentie et éprouvée les inconvénient, c’est pourquoi je mi refuse. Il y auroit de quoi faire un gros volume.

J’yrai vous embrasser le plus tôt qu’il me sera possible.

Si les peauvres gens que j’ay econduit vous conoissoient, votre argent ne les dédomageroient pas, de la perte qu’ils font.

Ce mercredy matin.


Le sentiment de la mesure, qui était le trait caractéristique de l’esprit de Mme Geoffrin et qu’elle ne perdait jamais, lors même que sa propre personne se trouvait en jeu, devait avoir peine à s’accommoder de cette forme un peu excessive que Mme Necker donnait assez facilement au fond toujours sincère de ses sentimens. Car après plusieurs années d’une intimité croissante elle la reprenait encore sur ses engouemens :


Ouy assurement, je serai toujours très contante de mes bons amis quant ils seront en bonne santé. L’espérance du rétablissement de celle de mon bon ami m’est une nouvelle bien agréable. Je remercie de tout mon cœur ma belle amie de me l’avoir donnée. Mais comme je suis destinée à la gronder sans en avoir le projet, formée seullement par les sirconstances, je vais remplire ma vocation en luy reprochant quelle est incorigible ; toujours de l’engouement ; jamais ne rien voir de sang froid.

Savez vous bien, ma très chère belle, que les éloges outrée que vous me donnée me confondent au lieu de me toucher et de me flater. Je suis toujours dans la crainte que votre yvresse ne passe ; pour lors vous me vériés si différentes de se que vous me créiez que vous me puniriez de vôtre illusion en me refusant tout.

J’ay des qualités et des vertus, mais j’ay beaucoup de défauts que je vois et conoit et sur lesquels je travaille tout les jours.

Ma chère amie, je vous conjure de diminuer de votre prévention favorablement outrée ; pensée que vous m’humiliée et sûrement se n’est pas vôtre intention.

Les anges font fort peu de cas de moi, et je ne me soucie point d’eux ; leurs éloges ou leur blâme me sont indiférent, je n’aurai point de