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continuelles émotions, des affections trop profondes, une trop vive agitation, enfin les fatigues de l’âme et d’une âme beaucoup trop sensible, ont mis à de trop longues et trop rudes épreuves des organes trop délicats. Que faut-il donc pour remède à tous ces trop multipliés ? autant de moins qui les tempèrent. Je sais bien que le naturel ne se corrige pas et s’il est en vous d’être susceptible à l’excès des impressions du mal qui arrive à vos semblables, si votre bonté impatiente ne peut vous laisser en repos, cet excès de vertu est un vice dont il sera difficile de vous guérir. Mais il en est de celui-là comme de tous les autres ; quand on n’a pas la force de les combattre et de les vaincre, il faut se dérober aux occasions d’y succomber. Votre âme a pris ici, depuis quelques années, trop de liens de commisération et d’affection qui la détruisent ; je ne vous demande pas de les rompre, mais de les relâcher. Vous auriez besoin de vivre quelque temps au moins dans un païs où il n’y eût point de malheureux. Ici, je vois qu’au lieu de ménager votre sensibilité, on l’excite ; et comme on aime à voir l’effet du pathétique sur une âme qui s’en pénètre, dès qu’il arrive quelque chose de bien triste et de bien touchant, on va bien vite vous le conter. C’est un plaisir cruel que vos amis se donnent (moi peut-être tout le premier) sans s’appercevoir que c’est un doux poison qu’ils vous font avaler sans cesse. Non, madame, je ne veux pas vous entretenir que de choses réjouissantes, et je prends le manteau de Démocrite pour être votre médecin.


Marmontel entre ici dans quelques détails des plus intimes sur la santé de sa femme et de son enfant, puis il continue :


Le matin je m’occupe, et l’après-dîner je végète et m’amuse de tout ; en cela j’oserai, madame, vous inviter à suivre mon exemple ; rien n’est plus sain que cette indolence et cet abandon de soi-même ; et s’il vous est possible de vous mettre à ce régime, je réponds de votre santé. M. Thomas désirerait que vous allassiez passer l’hiver dans les provinces du midi ; il en parle bien à son aise, lui qui doit y être avec vous. Je suis plus généreux ; et quoique retenu à Paris, je pense comme lui, et vous exhorte à me priver cette année de l’un des plus grands charmes de ma vie. J’en serai bien dédommagé si, comme je le pense, la douceur du climat et surtout le calme d’une vie plus isolée achève de vous rétablir.

Pardon, madame, je fais le médecin, et je ne le fais pas gaîment mais que j’apprenne que votre santé va mieux, je vous promets d’être joyeux jusqu’à la folie. Pour être gai, il faut être heureux et je ne puis l’être qu’autant que je n’aurai plus rien à désirer pour vous.


Quant aux rapports de Marmontel avec M. Necker, « qui ne lui avoit jamais donné lieu de croire qu’il fût son ami, » jamais sollici-