Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/757

Cette page a été validée par deux contributeurs.
751
L’ALSACE-LORRAINE ET L’EMPIRE GERMANIQUE.

scrupule d’endosser à l’Alsace-Lorraine une somme de 6 à 8 millions de francs, que les plénipotentiaires de Francfort avaient expressément mise à la charge de l’empire allemand, seul contractant. C’est qu’alors on songeait à ménager les milliards. Aujourd’hui que pareil souci n’existe plus, hélas ! ce sont les intérêts agricoles de la Lorraine qui sont mis en avant pour arriver à compléter aux frais du pays le réseau des lignes stratégiques !

IV.

C’est un grand ennui dans la vie que d’avoir affaire à des parens pauvres et d’en dépendre par quelque côté.

Telle est justement la situation de l’Alsace-Lorraine, que l’administration allemande saigne à blanc, sous prétexte que le pays n’a pas de dettes et que c’est aux négociateurs allemands qu’il le doit. Les dépenses des diverses administrations, qui ne s’élevaient guère sous le régime français à plus de 4 pour 100 des contributions annuellement fournies par la province, en absorbent maintenant plus de 13 pour 100 : c’est faire grandement les choses ; il est dommage que se soient les seules choses qui se fassent grandement sous le nouveau régime. L’Alsace-Lorraine pâtit ainsi à tout instant de cette réputation que les Allemands lui ont faite d’être un pays riche. Comme tout est relatif en ce monde, et qu’en Allemagne la misère est extrême, il se peut qu’ils disent vrai, mais les preuves dont ils se contentent sont parfois étonnamment légères, venant d’Allemands. L’an dernier, M. de Puttkammer provoquait dans le Reichstag un vif mouvement d’attention en disant textuellement ceci : « Nous avons reçu de la France le pays libre de dettes. Par suite, les impôts ont pu y être réduits chaque année de 21 millions de francs, par la suppression du monopole du tabac. » M. de Puttkammer, qui a été préfet à Metz, est du nombre des Allemands qui sont censés le mieux au courant des affaires d’Alsace-Lorraine, ce qui ne l’a pas empêché, lui, homme grave, d’alléguer sans rire, comme dégrèvement ayant profité aux contribuables, le chiffre des ventes annuelles de la manufacture des tabacs de Strasbourg ! Si c’est sur des bases aussi solides que le conseil fédéral a calculé les excédens de recettes que l’empire espère retirer de ses douanes, il ne devra pas être trop surpris d’éprouver quelques mécomptes en fin d’exercice. La vérité est, au contraire, que l’Alsace-Lorraine, bien que cédée à l’Allemagne franche de toute part contributive à la dette publique française, comme le rappelait fort justement M. de Puttkammer, ce qui représentait un allégement d’impôts d’environ 10 à 15 francs par tête chaque année, a actuellement à subvenir à des charges équivalant à 49 francs par habitant, non compris les centimes addi-