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chasser le naturel ; dans ses résolutions, qu’elles touchent aux affaires intérieures ou à la diplomatie, il y a toujours la mise en scène, le coup de théâtre. Jusqu’à la dernière heure, le secret de la dissolution avait été strictement gardé, si bien gardé qu’on commençait à croire à un ajournement. Au moment où l’on ne s’y attendait plus, à la veille des vacances de Pâques, il a brusquement démasqué sa stratégie, et par une lettre au duc de Marlborough, lord-lieutenant d’Irlande, il a engagé la campagne électorale, prévenant ainsi ses adversaires dans la lutte.

Du premier coup il a porté la guerre au camp ennemi, il a traduit pour ainsi dire l’opposition devant l’opinion en l’attaquant dans ses points vulnérables, dans ses affinités avec les séparatistes irlandais, les home rulers, et dans sa politique extérieure. Sur le premier point, il n’a pas craint de dire: « Il y a des hommes qui contestent la nécessité de conserver le caractère impérial de ce royaume. Ayant tenté, sans y réussir, d’affaiblir les colonies par leur politique de décomposition, ils pensent peut-être aujourd’hui trouver dans un démembrement du Royaume-Uni un procédé qui non-seulement accomplirait, mais précipiterait leurs desseins. » Sur le second point, il a mis en cause le système de « non-intervention » des libéraux, préconisant pour l’Angleterre la politique d’ascendant, et il a même dit le mot « de suprématie, » faisant de la Grande-Bretagne l’arbitre de la paix européenne. Ainsi lord Beaconsfield, choisissant habilement son terrain, s’est étudié à concentrer le combat sur ces deux points, l’intégrité du Royaume-Uni et l’ascendant extérieur de l’Angleterre. Le coup était soudain, il a été si vivement porté que l’opposition en est restée d’abord quelque peu abasourdie, et même après quelques jours, M. Gladstone n’en était pas encore revenu. Dans un discours qu’il a prononcé à Edimbourg, il a exprimé, non sans quelque naïveté, toute sa surprise de voir le gouvernement changer de rôle et prendre une offensive réservée d’habitude jusqu’ici à l’opposition. Lord Beaconsfield a changé tout cela sans craindre de déconcerter ses adversaires!

La lutte n’a pas tardé à se rétablir cependant; elle est aujourd’hui dans tout son feu, et tandis que le cabinet va au scrutin avec son armée de conservateurs passionnément ralliés à son drapeau, les libéraux de leur côté sont entrés en campagne, conduits par lord Hartington, par M. Bright, surtout par M. Gladstone, qui, malgré son âge, se multiplie, portant partout une éloquence aussi enflammée qu’inépuisable. L’opposition a même trouvé un auxiliaire dans lord Derby, qui a décidément rompu avec le parti tory et avec le ministère auquel il a appartenu. L’ancien chef du Foreign Office sous le ministère Gladstone, lord Granville, dans un discours qu’il a prononcé à Hanley, s’est fait un devoir de défendre ou de justifier la politique d’effacement si vivement reprochée au parti libéral par lord Beaconsfield. D’autres ont repoussé les hardies accusations du chef du cabinet, du vieux leader conservateur. Ce que sera le