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avec les commentaires des politiques spéculatifs sur le pacte de Vienne, sur les conséquences du refus d’extradition d’Hartmann, sur les sourdes inimitiés ou les rapprochemens de l’Allemagne et de la Russie, sur les desseins de M. de Bismarck, sur l’Orient et sur l’Occident? C’est la fatalité de ces situations indécises où il y a le sentiment persistant que rien n’est assuré. Heureusement tous les bruits ne sont pas des vérités, les faits vont moins vite que les imaginations, et avant que les prédictions menaçantes se réalisent, il y a place pour la réflexion. Les gouvernemens ont le temps d’y regarder à deux fois avant de se jeter dans des aventures nouvelles ou de donner le signal de complications dont ils ne seraient bientôt plus maîtres. Parce que le cabinet français n’a pas cru pouvoir livrer un sujet russe et parce qu’à la suite de ce refus le prince Orlof a été « appelé » à Saint-Pétersbourg, ce n’est point un motif pour voir le commencement d’un orage dans ce qui n’est qu’un nuage passager, dans un mouvement d’humeur qui ne peut tenir devant la loyauté manifeste de la France. Parce que M. de Bismarck est un prépotent jaloux de sa puissance, ce n’est pas une raison pour lui attribuer toute sorte de conceptions démesurées, tantôt l’intention d’une guerre colossale et prochaine contre la Russie, tantôt l’idée d’ériger une haute police européenne sous la forme d’un pacte international contre les propagandes révolutionnaires et socialistes. Parce que l’Allemagne et l’Autriche se sont alliées avec éclat, il n’y a point de quoi voir dès ce moment dans une telle alliance le préliminaire de quelque vaste plan dont l’objet se dérobe provisoirement au regard, dont les suites inconnues et incalculables ne tarderaient pas à se dérouler. Qu’on remarque bien d’ailleurs que, dans toutes ces combinaisons dont on nourrit la curiosité ou la crédulité publique, s’il y a quelque chose de spécieux, il y a le plus souvent des contradictions singulières, de frappantes impossibilités. En réalité, tout ce qui se passe aujourd’hui n’a qu’une signification évidente, c’est que l’Europe est plus que jamais malade d’incertitude, et l’incertitude universelle entretient les craintes, les défiances, surtout le besoin de supposer, de conjecturer, qui est encore une forme de la maladie. Ce qu’il y a de clair aussi, c’est que les gouvernemens avisés n’ont rien de mieux à faire que de garder leur sang-froid et de montrer quelque prudence, sans se désintéresser assurément des affaires du monde, sans se hâter d’un autre côté de rechercher un rôle que les événemens ne leur refuseraient pas si les circonstances devaient changer.

Il est toujours difficile sans doute de préciser la nature de l’action permise à un pays comme la France, pour qui la réserve est la première des lois dans cette confusion de l’Europe. Au fond notre diplomatie a des régies toutes tracées. Elle n’a que des devoirs de tact, de bonne attitude, de dignité tranquille, d’observation attentive, de participation stricte aux obligations régulières de la communauté européenne. La