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se donner le droit et la force de résister à des exigences nouvelles ; en consentant à couvrir de son nom, de son autorité de chef de cabinet les décrets d’hier, il n’a rien négligé, nous en sommes sûrs, pour préciser le sens et la portée des dernières mesures, pour expliquer partout où cela était nécessaire, qu’il ne s’agissait nullement, dans l’intention du gouvernement français, d’une persécution religieuse, d’une guerre contre l’église, contre les catholiques. Le chef du cabinet ne s’en cache pas, il l’a dit tout haut dans les assemblées, il le dit partout où sa parole peut être utilement entendue, il ne se prêterait pas à une telle guerre ; il la désavoue, et si la situation est arrivée à ce point où les décrets du 29 mars ont paru être une nécessité, ce n’est pas de son aveu. Tout cela, nous l’admettons assurément, il faut en tenir compte ; la faute de cette situation troublée qui nous est faite n’est ni à M. le président du Conseil, ni à M. le président de la république, ni au sénat. La faute en est d’abord à M. le ministre de l’instruction publique, qui, le premier, avec sort article 7, a allumé tant de passions irritées et irritantes auxquelles on croit devoir donner aujourd’hui comme satisfaction ces nouveaux décrets. La faute est à ceux qui, par un ordre du jour de colère et de représaille contre le sénat, ont placé le chef du ministère dans des conditions au moins assez embarrassantes. La faute est à tous ces républicains plus ou moins sectaires qui ne craignent pas d’entraîner la république et le gouvernement dans des entreprises où tout est mal venu, mal engagé et disproportionné, où l’on agite tout un pays sans raison suffisante, pour un résultat médiocre, où l’on soulève plus de questions qu’on n’en peut résoudre.

C’est là en effet, à part même toute considération de droit et d’équité, le double inconvénient de ces mesures qui prennent forcément le caractère d’un acte d’exception et de circonstance. On met tout en émoi ou en doute et on ne résout rien. En fin de compte, de quoi s’agit-il ? Où est ce grand péril dont on parle si souvent et contre lequel on se croit obligé de s’arnier au plus vite ? C’est un fait connu, divulgué par toutes les statistiques : il y a en France quelque 7,000, peut-être 8,000 religieux appartenant à des congrégations dites non autorisées, et dans ce nombre il y a tout au plus 1,500 jésuites dispersés sur le territoire de la France, occupés à l’enseignement, à la prédication, au ministère ecclésiastique. 7,000 religieux de toute robe, 1,500 jésuites, c’est là tout ! Est-ce sérieusement qu’on vient parler de se mettre en garde et en défense contre l’invasion menaçante ? Parce qu’il y a quelques milliers de religieux, les uns à l’esprit dominateur peut-être, les autres simples de cœur et inoffensifs, est-ce une raison de pousser le cri de guerre ? L’indépendance civile, la société de la révolution française, la suprématie de l’état, la république, tout serait en péril ! « Hommes de peu de foi ! » disait il y a quelques jours M. Jules Simon, et il avait mille fois raison. Heureusement cette société de la révolution française