Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/711

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlement, et il ne répondait pas des suites. Les révélations du journal viennois ont été confirmées par le témoignage du comte Arnim, qui plus que tout autre diplomate, connaît le Vatican, ses corridors et leurs détours. M. de Bismarck ne doutait pas que le saint-père et son secrétaire d’état ne finissent par entendre raison ; il était persuadé qu’il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints. Le pape Pie IX déclina obstinément les ouvertures du chancelier, il protesta qu’il ne s’occupait jamais de politique, qu’il ne s’ingérait pas dans les affaires intérieures des états, qu’il ne savait pas, qu’il ne voulait pas savoir ce qui se passait dans les conciliabules du parti du centre, qu’il n’avait pas de conseils à donner à M. Windthorst. M. de Bismarck envisagea cette réponse comme une défaite. Il ne peut admettre que celui qui a l’autorité s’abstienne d’en faire usage et qu’il y ait pour les chefs d’état ou d’église des curiosités défendues. Peut-être aussi avait-il de bonnes raisons de croire que le saint-siège avait la main dans les affaires de Prusse et que M. Windthorst entretenait une correspondance suivie avec Rome. Ses caresses avaient été mal reçues, il exécuta ses menaces. « Sa conduite ressembla à celle d’un père qui pendant de longues années a prêché à son fils l’obéissance à son précepteur et qui, découvrant tout à coup que l’influence de ce précepteur porte atteinte à son autorité paternelle, cherche désormais à reconquérir la tendresse de l’enfant par de fréquentes et vertes corrections, dans lesquelles il fait aussi leur part à tous les serviteurs de la maison[1]. »

On peut dire que dans cette affaire M. de Bismarck a joué cartes sur table. Personne n’a pu s’abuser sur les vraies raisons qui déterminaient sa conduite; loin d’en faire mystère, il s’en est expliqué avec une audacieuse franchise. Quand le parti du centre se récriait sur les coups que portait au catholicisme une main meurtrière, quand M. Windthorst gémissait sur les plaies de l’église, quand, se souvenant d’Antoine, vengeur de César, il étalait et agitait sous les yeux du parlement une robe percée et tachée de sang, M. de Bismarck répondait : « Ne vous en prenez qu’à vous-mêmes ; il ne tient qu’à vous que tout cela change, vous le savez aussi bien que moi. » Le 30 janvier 1872, à propos de la loi qui supprimait la division catholique dans le ministère des cultes, il s’écriait : « Je me suis toujours bien trouvé d’être l’ami de mes amis et je ne veux pas dire l’ennemi de mes ennemis, mais l’adversaire résolu de mes adversaires. Si vous voulez obtenir de moi des concessions, rappelez-vous la vieille fable du vent et du soleil disputant à qui dépouillera un voyageur de son manteau. Ce ne fut pas le vent qui gagna le pari ; vous feriez mieux, messieurs, de faire un pacte avec le soleil. » Du reste, il n’avait garde d’engager à jamais l’avenir à

  1. Der Nuntius kommt, Essay von einem Dilettanten; Vienne, 1878.