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besoin de remettre à leur place les choses et les hommes. Quand il s’est déterminé à négocier, il ne s’est inspiré que des intérêts les plus pressans de l’église, et il est hors de doute que les évêques allemands ont approuvé sa démarche; elle n’a consterné que les chapelains de combat, leurs encriers et leurs fleurets.

A vrai dire, les choses ne se sont pas passées comme le pape Léon XIII l’avait espéré. Les natures généreuses sont disposées à voir en beau leurs ennemis, et au surplus le Vatican est l’endroit du monde où les vérités désagréables pénètrent le plus difficilement. Quand elles réussissent à forcer la porte, elles ont peine à trouver leur chemin à travers les détours infinis de ce palais enchanté, où abondent les corridors et les chambellans. Tout semble prouver que, lorsqu’il commença à négocier avec le gouvernement prussien, le saint-père connaissait peu Berlin, qu’il se faisait une idée fort inexacte des résistances qu’il allait rencontrer, du véritable état des choses, du caractère des hommes, de leur âpreté dans la discussion de leurs intérêts. Il se flattait que la douceur, la finesse, l’entregent romain triompheraient de la rigidité berlinoise, que les barres de fer fondraient dans ses mains souples et chaudes, qu’il obtiendrait la révocation des lois de mai. Il s’est heurté contre un Non possumus qu’il n’avait pas prévu. « Vous nous demandez l’impossible, lui a-t-il été répondu; nous n’avons pas l’habitude de nous démentir, nous n’avons jamais dit notre peccavi. Commencez par reconnaître nos lois, nous verrons ensuite à les modifier ou à les adoucir dans l’application. » La lettre que lui adressa à la date du 10 juin 1878 le prince royal de Prusse, remplaçant provisoirement son père après l’attentat de Nobiling, aurait dû lui ouvrir les yeux. Dans cette lettre, que M. de Bismarck avait sûrement revue, l’héritier de la couronne témoignait un vif regret que sa sainteté ne se fît pas un devoir de recommander aux serviteurs de l’église avant toute chose l’obéissance aux autorités de leur pays. Il déclarait qu’aucun monarque prussien ne pouvait se prêter à modifier la constitution et les lois de la Prusse au gré de l’église catholique romaine, que l’indépendance de la monarchie serait en péril si elle souffrait que sa législation fût soumise au contrôle d’une puissance étrangère.

Ces déclarations ont été depuis lors répétées tant de fois et sous tant de formes diverses que Léon XIII a fini par comprendre. Son amour de la paix a prévalu sur ses répugnances, sur ses indignations, sur ses scrupules. Il a avalé l’amer calice, il a écrit sa lettre à l’archevêque de Cologne, il s’est déclaré prêt à tolérer que les évêques prussiens se soumissent à la loi du 11 mai 1873. Il a reconnu ainsi que les souverains et les républiques peuvent légiférer sur les matières religieuses sans recourir à la voie des concordats, que l’église consent quelquefois à reconnaître des lois promulguées motu proprio par le pouvoir civil, sans son aveu, sans son agrément, sans un accord préalable avec elle.