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Nous avons expliqué que toute perception devait être divisée en deux parts : le péage et le transport, et que le péage représentait l’intérêt et l’amortissement du capital de premier établissement. L’état peut se charger de cette partie de la dépense : il fera ainsi moins pour les chemins de fer que pour les autres voies de communication, puisque les compagnies conserveront la charge de l’entretien. Le capital de premier établissement des six grandes compagnies est de 7 milliards 1/2 environ. En calculant l’intérêt et l’amortissement à 5.75 pour 100, ce serait donc une somme de 431 millions à verser annuellement pour mettre les chemins de fer sous le même régime que les routes et les canaux.

On voit donc qu’il serait facile, sans bouleverser les conditions économiques de l’industrie des transports, de faire bénéficier le commerce de réductions importantes. Si on supprime les impôts de 158 millions et le péage de 431 millions, on arrive à un total de 589 millions. Or la recette totale des six grandes compagnies a été, en 1878, de 874 millions. Les impôts représentent donc 18 pour 100 et le péage 49 pour 100 des recettes.

Jamais le commerce n’a rêvé une pareille fortune. Et qu’on remarque bien qu’il ne s’agit pas ici d’une utopie, mais bien d’une réalité très sérieuse. Le jour où expireront les concessions actuelles, les chemins de fer seront remis à l’état, dégrevés de toute charge de premier établissement. Si donc le gouvernement ne veut pas faire des chemins de fer un instrument d’impôt, une matière imposable, une source de revenu, il devra supprimer le péage, c’est-à-dire réduire les tarifs de moitié. En présence de cette certitude, est-ce bien le cas de racheter précipitamment les concessions et de faire payer au pays, à chers deniers, ce magnifique instrument qui doit lui revenir gratuitement dans quelques années?

A chaque jour suffit son œuvre. L’état a jusqu’à ce jour aggravé les prix de transports par des impôts successifs. Il vient d’entrer dans la voie des dégrèvemens en supprimant l’impôt de 5 pour 100 sur la petite vitesse ; si la situation économique du pays justifie un nouvel allégement, il lui est facile de le donner, doucement, sans secousse, d’abord par la suppression des impôts qui grèvent encore les transports de près de 20 pour 100, puis par l’allégement du péage qui représente la moitié des taxes. On restera ainsi dans le vrai, dans le juste, on n’exposera pas le pays à une crise qui peut prendre des proportions effrayantes.

C’est là la vraie réforme,


A. BRIERE.