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ainsi une moyenne est bien pour juger une situation, mais quand on arrive à la tarification, ce procédé mène à l’absurde. Une brochure allemande, qui a fait un certain bruit, a paru l’année dernière : son but est de préconiser le système alsacien et d’en demander l’application à tout l’empire allemand; on y fait ressortir tous les avantages de la taxe unique, et nous y trouvons notamment cette phrase caractéristique : « Il est clairement démontré qu’un tarif unitaire établi d’après la moyenne des taxes des tarifs des chemins de fer ne produirait en général pas de changement sensible dans les prix de transport. Dans quelques cas, l’expéditeur aurait à payer un peu plus, et dans d’autres cas, un peu moins. » Mais ce n’est pas le même expéditeur!.. Le maître de forges ne se sert que de tarifs très réduits, combustible, minerai, castine, fonte, fer. L’agriculteur ne se sert que de tarifs très réduits, engrais, chaux, céréales. La soierie, au contraire, ne se sert que de tarifs élevés. Comment ferez-vous une moyenne? Qu’importe que la tonne de chocolat, qui vaut 4,000 francs, ou la tonne de soieries, qui en vaut peut-être 50,000, paient quelques centimes de plus ou de moins? Mais ce qui importe, c’est que les engrais puissent parcourir 700 kilomètres pour 21 francs, soit à raison de 0 fr. 03 par tonne et par kilomètre; ce qui importe, c’est que les fers du bassin de l’Aveyron puissent soutenir concurrence avec les fers anglais jusqu’en Bretagne en parcourant plus de 1,000 kilomètres pour 31 francs; ce qui importe, c’est que les chaux de la Mayenne aillent fertiliser le sol granitique jusqu’au fond de la péninsule armoricaine à raison de 0 fr. 02 1/2 par tonne et par kilomètre. Voilà ce qui doit préoccuper l’économiste, l’homme d’état, et il ne pourra jamais arriver à ce résultat que par la spécialisation des tarifs.

C’est grâce aux tarifs spéciaux que nos chemins de fer ont pu soutenir nos ports du Nord contre la concurrence d’Anvers. On est si ignorant de la géographie en France qu’on trouve très étonnant que notre région industrielle de l’Est ne fasse pas venir ses cotons par le Havre ; tout ce qui est hors de notre territoire nous est inconnu. Mais Anvers est un marché bien autrement important que le Havre, et par suite les matières premières y sont à plus bas prix. En outre, Anvers est beaucoup plus rapproché que le Havre de nos usines de l’Est ; la différence en faveur d’Anvers est de 240 kilomètres pour Nancy, de 150 kilomètres pour Belfort de 170 kilomètres pour Mulhouse. Le Havre ne devrait donc pas nourrir l’espoir de servir d’approvisionnement pour les cotons que consomme l’industrie de l’Est. C’est grâce aux tarifs spéciaux que le Havre peut fournir une partie de ce trafic. Déjà la clause des stations non