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Passons aux houilles anglaises. Les charbons anglais à destination de Paris arrivent en France dans l’un des ports de la Manche compris entre Le Havre et Dunkerque : le grand courant est par Le Havre : les navires rompent charge au Havre ou à Rouen et transbordent leur chargement sur des chalands qui remontent la Seine. Ce procédé, étant le plus économique, est le régulateur de la valeur du transport. Si Dunkerque veut prendre sa part dans ce grand mouvement, il faut que le chemin de fer du Nord consente des tarifs extrêmement réduits de Dunkerque à Paris : c’est ce qu’il fait; mais la houillère de Lens n’a pas à s’en plaindre, car le tarif de 7 fr. 40, de Dunkerque à Paris n’a pas pour résultat d’introduire une tonne de houille anglaise de plus, il fait seulement passer par Dunkerque et les rails du Nord ce qui passerait par Le Havre et la Seine. Le grief contre les houilles anglaises n’est donc pas plus fondé que le grief contre les houilles belges.

Et il en est toujours ainsi quand on regarde de près.

Mais nous allons plus loin. Laissons de côté la concurrence de la Seine. Admettons pour un moment que les houilles anglaises ne puissent entrer que par Dunkerque. Pourquoi reprocherait-on à la compagnie du Nord de leur faciliter l’accès de notre territoire? En prélevant le même prix de Lens ou de Dunkerque, quel tort fait-elle au bassin français? Est-ce qu’elle augmente son prix de revient? Non, sans doute. Mais elle amène sur la place un concurrent nouveau et elle lui permet de vous disputer ce marché parisien qui vous tient à cœur, que vous considérez comme votre lige, taillable et corvéable à merci; elle trouble votre quiétude, elle vous oblige à lutter, à abaisser vos prix de vente ; mais que demain tous les tarifs de transport de la houille anglaise soient relevés de 2 francs, nous vous verrons immédiatement relever de la même somme vos prix sur le marché de Paris. Il serait peut-être opportun de consulter aussi l’industrie parisienne et de savoir si elle considère cette concurrence comme regrettable. Le ministre des travaux publics est singulièrement imprudent en étudiant les moyens de porter à 3 mètres le tirant d’eau de la Seine entre Rouen et Paris. Le jour où cette amélioration sera accomplie, le transbordement de Rouen sera supprimé, vous aurez des navires allant sans rompre charge de Cardiff à Paris, et le prix de revient sera réduit de plus de 2 francs pour les houilles anglaises. Gardez-vous de voter les fonds pour ce travail que la vallée de la Seine réclame cependant avec tant d’instance.

Répétons-le une dernière fois : la taxe unique est un instrument de protection et, sous une apparence d’équité, il n’y a pas de système plus inique.