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les cas les plus fréquens. Tout a dépendu des conditions qui ont déterminé l’évolution sociale.

Ainsi un rapport constant et fort étroit unit le type militaire avec la polygamie, le type industriel avec la monogamie. La guerre a pour effet, dans les tribus sauvages, de diminuer le nombre des hommes ; celui des femmes étant dès lors en excès, chacun peut en avoir plusieurs auxquelles il ajoute celles qu’il enlève à l’ennemi vaincu. Ces femmes sont tenues dans la situation la plus abjecte : esclaves, bêtes de somme, elles n’ont aucune pitié à attendre de maîtres chez qui une vie de combats sans trêve a déchaîné les plus féroces instincts. Les enfans ne sont ordinairement pas mieux traités, et la seule limite aux brutalités de l’époux et du père est celle où l’existence même des victimes, trop directement compromise, menacerait d’une prompte extinction la tribu tout entière. Cette limite, la sélection naturelle et la concurrence vitale se sont chargées de la fixer.

À mesure que la population s’accroît, et que la guerre moins fréquente ou la victoire plus disputée rendent plus difficile la conquête des captives, la polygamie tend à disparaître. Ce sont d’abord les hommes des classes inférieures qui sont contraints de se réduire à une seule femme ; les forts, les chefs continuent à en posséder plusieurs ; chez les barbares de la Germanie, le grand nombre des épouses était, au dire de Tacite, un signe de noblesse et de puissance. Les rois mérovingiens avaient de véritables sérails, et l’habitude où furent si longtemps les rois chrétiens d’avoir des maîtresses attitrées n’était que la survivance d’une antique tradition.

Même dans les sociétés devenues monogamiques, la prédominance du type militaire a pour résultat de maintenir dans une condition relativement inférieure les femmes et les enfans. L’organisation domestique se moule sur l’organisation sociale ; elles se développent et se modifient parallèlement, ou plutôt elles sont à la fois cause et effet l’une de l’autre. L’absolutisme dans l’état s’exprime par l’omnipotence du père dans la famille. Il est inutile de rappeler ce qu’était sous l’ancien régime, surtout dans l’aristocratie, l’autorité maritale et paternelle.

Tout opposés sont les caractères des relations domestiques dans les sociétés où domine le type industriel. Chez certaines peuplades, fort grossières d’ailleurs, mais de mœurs pacifiques, la monogamie existe ; les femmes sont bien traitées et jouissent même de droits assez étendus. Plus le type industriel tend, par le progrès de la civilisation, à se substituer au type militaire, plus les sentimens altruistes, le respect de la liberté des autres, l’esprit de coopération volontaire, dont la diffusion est l’effet nécessaire de cette métamorphose sociale, tendent à modifier l’organisation de la famille.